Au lendemain des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, un fait d’espionnage de ces Olympiades reste en tête. Le stade mythique de Saint-Étienne, Geoffroy-Guichard, a été le lieu d’un scandale en juillet dernier. Dans la ville parée de vert, le gris des drones de l’équipe de football féminine canadienne a fait tâche. Ils avaient un seul but : dévoiler les tactiques de jeu des néo-zélandaises, leurs futures adversaires, au Canada pendant l’un de leurs entraînements. Les conséquences de ces opérations illégales sont lourdes : suspension de l’ancienne sélectionneuse Bev Priestman et huit mois de prison avec sursis pour l’un des membres du staff canadien.
Théâtre d’opérations dissimulées à plusieurs échelles, la tricherie sportive n’est pourtant qu’une facette de l’espionnage au sein du sport. Alors que le scandale de l’équipe canadienne relève de la fraude, ces actes peuvent aller bien au-delà pour s’inscrire dans des dynamiques géopolitiques qui servent des objectifs bien plus larges et plus stratégiques.
Les Jeux Olympiques, souvent victimes de ces pratiques, ont toujours joué un rôle clé dans les relations diplomatiques. Vous les organisez ? À vous la gloire le temps d’un été ou d’un hiver. Vous souhaitez marquer les esprits ? Boycottez les Jeux de Moscou 1980 ou Los Angeles 1984. Les espion.ne.s ont toujours trouvé leur place dans la sphère sportive internationale, un terrain où les enjeux politiques, économiques et stratégiques ne sont jamais bien loin.
Une histoire pas si récente :
Le XXe siècle, théâtre de l’espionnage sportif Le sport rassemble, c’est bien connu. Souvenez-vous, les Français.e.s n’ont jamais été aussi soudé.e.s que lors de la victoire de la Coupe du monde en 2018, 4-2 contre la Croatie. Toutes et tous derrière une seule nation et une seule équipe, les supporters chantaient sur les Champs Elysées, les drapeaux tricolores sur toutes les épaules. La presse américaine, en pleine guerre froide, montre cette union, non pas avec des compétitions mais avec la transmission d’images de sportifs-surhommes. Si on ne prend pas exemple sur des superhéros de Comics à l’image du costume aux couleurs du Stars and Stripes de Capitaine America, ce sont les compétiteurs fictifs à l’écran comme le boxeur musclé et représentant international des États-Unis Rocky ou le bien réel poing noir levé du coureur Tommie Smith qui font vibrer. La fabrication de ce sentiment national s’est étendue à l’utilisation des athlètes comme les représentants d’un idéal et comme des combattants de l’ombre. Derrière l’utilisation du champ lexical du combat, fortement présent dans le vocabulaire sportif, se cachent parfois de véritables soldat.e.s au service de leur nation et de la diplomatie en temps de guerre.
La Seconde Guerre mondiale a eu son lot d’espion.ne.s des deux côtés de l’Atlantique, une nouvelle forme de surveillance, batte de baseball à la main (1). Diplômé de La Sorbonne et de Columbia University, l’Américain Moe Berg n’était pas seulement batteur remplaçant des Boston Red Sox, il travaillait aussi pour l’Office of Strategic Services (OSS, ancêtre de la CIA) qui l’envoie en Suisse pour surveiller l’avancée des Nazis sur leur première bombe atomique. Sa conclusion est simple : pas de quoi s’inquiéter. Maniant douze langues dont l’allemand, l’italien et le français, le joueur de baseball est recruté sous sa couverture de sportif et d’homme d’éducation. Entre 1943 et 1945, sa mission est simple : convaincre des physicien.ne.s européen.ne.s de rejoindre les États-Unis et tenir informé le pays de l’oncle Sam. Sa double casquette, grâce à la place de la figure du grand compétiteur – comme une figure quasi mythique –, lui permettait de passer inaperçu dans l’exécution de sa mission. La guerre froide devient le cas d’école d’athlète-espion.n.e, bien dissimulé derrière un contexte historique caractérisé par des affrontements indirects avec l’Union Soviétique.
La Russie, le cas d’école contemporain
Dans le monde du sport, l’espionnage russe n’est un secret pour personne. Tandis que la Russie fait l’objet de sanctions internationales pour son invasion en Ukraine en 2022, les renseignements russes exploitent le sport comme une porte d’entrée vers d’autres pays.
En décembre 2024, le magazine l’Équipe met en avant le cas de Maxim Sergeyev (2), jeune hockeyeur rêvant d’une carrière professionnelle en Pologne, arrêté en mars 2023 par l’ABW (agence de sécurité intérieure Polonaise) pour collecte d’informations pour une cellule russe. Il est aujourd’hui en prison. Sa mission était la suivante : trouver des installations des forces de l’OTAN en Pologne et les documenter afin de les transmettre sur le canal Télégram, tout cela en continuant de jouer pour le Zaglebie Sosnowiec. Son histoire révèle l’implantation russe dans les pays slaves et ce, avant même l’invasion russe en Ukraine. De jeunes athlètes russes, en situation financière précaire, sont approché.e.s via Télégram pour prendre part à des « petits boulots », euphémisme pour une demande d’espionnage. Les jeunes actifs ne sont qu’un rouage d’un système bien plus vaste de la géopolitique sportive de l’intelligence russe.
De grands acteur.trice.s du sport, patrons, coachs, directeur.ice.s sportif.ve.s, ajoutent également leur pierre à l’édifice derrière la couverture de voyages. Boulat Ianorissov, patron russe de la course automobile du Silk Way Rally, s’est révélé être un agent au service du Kremlin. Une partie des bureaux du Rallye des Routes de la Soie, organisé par les gouvernements russes et chinois, se trouve à Paris, où il s’est installé avec sa famille. Cette position lui permettait de voyager aux quatre coins du monde. Dans des rapports « top secrets » adressés au ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, il décrit l’objectif de créations d’alliances politiques et militaires (contrôle de stocks d’armement, augmentation de la présence russe en Asie centrale ou de l’Est, …). Des événements comme le Rallye sont des moyens implicites de mettre en avant le soft power russe, à l’image de l’organisation de la Coupe du monde de football en 2018. Derrière ces manifestations se cachent souvent des athlètes et des technologies de pointe.
Les nouveaux gadgets, des agents secrets modernes
À l’origine, l’espionnage se faisait sur le terrain : des hommes ou des femmes présent.e.s sur place et délivrant les informations par courrier ou de bouche à oreille. Maintenant, plus besoin d’être sur place, elles et ils ont été remplacé.e.s par des drones, des sites internet ou encore des applications.
Les compétitions sportives internationales sont les cibles de différentes attaques. L’exemple le plus récent, l’épisode des Strava Leaks à l’automne dernier. Le 29 octobre, le quotidien israélien Haaretz lance l’alerte qu’il a été possible d’identifier des milliers de soldat.e.s israélien.ne.s via l’application Strava (3) où des milliers de coureur.euse.s enregistrent et partagent leur performance. Une surveillance disponible à portée de clic. L’enquête menée par des journalistes du Monde (4) a également révélé les positions de la sécurité de trois des chefs d’États les plus importants du monde : Emmanuel Macron, Joe Biden et Vladimir Poutine. Tout cela grâce à une application de sportif.ve.s souvent utilisée imprudemment et donnant accès à sa localisation.
Les nouvelles techniques de renseignement dans le sport exploitent chaque faille d’un système surchargé. Les Jeux Olympiques sont souvent le rendez-vous à ne pas manquer dans l’univers des hackers. Lors des Jeux de Paris l’été dernier, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) a enregistré 141 cyber attaques dont 22 d’un « acteur malveillant qui a conduit des actions avec succès sur le système d’information de la victime (5) ». Le rapport annuel de l’ANSSI rapporte un niveau « moyen » de menace à but d’espionnage pendant les Jeux de Paris, citant notamment la possibilité d’attaques d’un mode opératoire d’attaques (MOA) chinois. Ces outils ne se limitent pas à des attaques via ordinateurs, ils utilisent également des drones bien physiques. L’emploi de ces appareils a explosé en 2024, avec les attaques militaires la guerre ukrénorusse ou la révélation du Monde en janvier 2025 que plus de 1 800 autorisations sur la survol de drone avaient été données en France (6). Le monde du sport s’en est également emparé. Le cas d’observation secrète des Canadiennes pendant les Jeux Olympiques en est une preuve de taille. Plusieurs mois après la révélation, l’affaire prend un nouveau tournant : il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais d’une technique ancrée au sein de la sélection nationale. La stratégie aurait été mise en place depuis la direction des Canucks par le Britannique John Herdman entre 2011 et 2018. Même chez les sportif.ve.s, fini les humains, vive les machines. De nombreux.ses « James Bond du sport » restent inconnu.e.s du grand public, mais leur impact international est indéniable. Sans gadgets ni arts martiaux, ces individus, que l’on croise dans des gymnases, sur des pistes ou dans des piscines, œuvrent dans l’ombre, souvent au service de leur État. Dans un monde fracturé par les conflits en Europe ou au Moyen-Orient, les compétitions sportives jouent un rôle clé pour influencer l’opinion et orienter les rapports de force.
(1) Pierre Callewaert, « Ils furent sportifs et… espions », L’Équipe, 16 octobre 2020.
(2) Thymoté Pinon, « Sur les traces d’un hockeyeur russe devenu apprenti espion à la solde de Poutine et du Kremlin », L’Équipe, 13 décembre 2024.
(3) Bar Peleg, Omer Benjakob et Avi Scharf, « Haaretz Investigation: Intelligence Operation Collected Information on Sensitive Israeli Bases, Soldiers », Haaretz, 29 octobre 2024.
(4) Sébastien Bourdon, Antoine Schirer et la Cellule Enquête vidéo, « La sécurité de Macron, Biden et Poutine compromise par leurs gardes du corps : le premier épisode de notre enquête « StravaLeaks » », Le Monde, 27 octobre 2024.
(5) Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), « Panorama de la cybermenace 2024 », CERT-FR, 11 mars 2025.
(6) Arthur Carpentier et Léa Sanchez, « Comment la surveillance par drone s’est généralisée en 2024 : plus de 1 800 autorisations dans toute la France », Le Monde, 13 janvier 2025.
Hana GOUDJIL