Quand la philanthropie cache un marché de la mort
Depuis le début des années 2000, près de 700 000 personnes sont décédées d’une dépendance aux opioïdes. Cette crise a en grande partie été engendrée par le laboratoire Purdue Pharma et son médicament phare, l’Oxycontin. En 2021, un journaliste publie une enquête dans laquelle il dénonce l’implication des propriétaires de la firme dans la mort de milliers de personnes. Ces propriétaires qu’on considérait comme d’admirables philanthropes, ont en réalité une face bien plus sombre.
700 000. 700 000, c’est le nombre de morts liées à la crise mondiale des opioïdes depuis le début des années 2000 selon un article du Monde. Les opioïdes sont des médicaments attribués aux patients ressentant une douleur intense et incessante, souvent suite à de graves accidents corporels. Mais leur pouvoir de soulager est égal à leur pouvoir d’asservir. Le poison est présenté comme un remède. S’ils assurent la disparition des douleurs, ces produits contiennent néanmoins des substances addictives engendrant une profonde dépendance.
Ce phénomène de dépendance aux stupéfiants pharmaceutiques, notamment déclenché par le succès de l’Oxycontin, relève d’une crise sanitaire et sociale majeure de ce début du XXIe siècle. En effet, les inégalités d’accès aux soins expliquent souvent le recours à ces médicaments efficaces et jugés moins coûteux. Par exemple, en 2013, une boîte d’Oxycontin de 28 cachets de 30 mg coûtait 42,33€, le tout remboursable à 65% pour les douleurs chroniques d’origine cancéreuse.
En 2019, une épidémie d’overdoses frappe les États-Unis et conduit à la mort de 125 000 personnes selon l’OMS. Drogue dure au même titre que le crack ou la cocaïne, l’Oxycontin est pourtant bien légale. Elle s’est répandue dans des États américains tels que l’Alabama, l’Ohio ou encore la Virginie Occidentale, qui n’avaient jamais eu auparavant à faire face à des crises sanitaires d’une telle ampleur. Les dispositifs contre les drogues et les addictions y sont donc très rares. Ainsi, les gouvernements étasuniens rencontrent des difficultés à prendre des mesures drastiques pour limiter sa consommation.
Le triomphe de l’Oxycontin et d’autres drogues similaires est devenu immense, et pas seulement aux États-Unis. Selon le Réseau de prévention des addictions (RESPADD), en France « le nombre d’hospitalisations liées aux opioïdes a été multiplié par 4 en 20 ans, passant de 704 en 1997 à 2 586 en 2017 ». Toujours dans l’hexagone, près de 10 millions de patients se sont vus prescrire une ordonnance pour ces antalgiques.
Mais en 2016, le Los Angeles Times révèle l’envers du décors des activités fallacieuses de Purdue Pharma. Rapidement, on commence à reprocher à la société d’avoir menti sur les conséquences de l’usage des opioïdes. L’entreprise n’en démord pas : pour elle, la dépendance est due à un mauvais usage du produit par les patient.e.s. En 2021, le journaliste Patrick Radden Keefe publie une enquête intitulée *Empire of Pain*, dans laquelle il révèle l’affaire Purdue Pharma et son lien avec la famille Sackler. Il explique également comment la firme a mis en place une stratégie commerciale infâme et mensongère afin de promouvoir l’OxyContin à travers tous les États-Unis. Dans la série *Painkiller*, on apprend par ailleurs que l’entreprise a réussi à se faire attribuer le label « faiblement addictif » par la FDA en soudoyant Curtis Wright, le médecin chargé du dossier. Dans cet élan d’atrocités, Purdue Pharma a persuadé les médecins que leur médicament était sans danger. Dans son ouvrage *Dopesick* publié en 2018, Beth Macy écrit : « Les représentants peuvent venir avant les fêtes pour déposer une dinde qu’un médecin pourrait rapporter à la maison […]. Pour attirer l’attention des médecins les plus pressés, les représentants les invitent à se rencontrer dans une station-service voisine, où ils achètent un plein d’essence aux médecins et leur vantent leurs marchandises ». La société n’a pas hésité à recourir à ce genre de pratiques en offrant des voyages ou des cadeaux exceptionnels aux délégués médicaux qui réussissaient à convaincre les médecins de prescrire le médicament. N’importe quel luxe était bon à offrir. Cerise sur le gâteau : l’entreprise a développé un « merch » autour de l’Oxycontin. On pouvait alors trouver des produits dérivés tels que des pulls, des tasses ou encore des peluches à l’effigie de la marque.
Récemment, Purdue Pharma et les Sackler ont scellé un accord avec 15 États américains les engageant à payer 7,4 milliards de dollars en raison de leur rôle dans la crise des opioïdes. La famille Sackler a une réputation à double tranchant. L’argent acquis sur la douleur des patients a servi à financer le monde de la culture et de l’éducation. Elle qui pensait pouvoir se cacher éternellement derrière son image immaculée de parfaite philanthrope s’est faite démasquer. Purdue Pharma et la famille Sackler font désormais concurrence à Dr Jekyll et Mr Hyde.
De la même manière que l’on retient Pierre Coubertin pour les Jeux olympiques sans évoquer son admiration pour Hitler, ou que l’on célèbre Alfred Nobel pour les prix du même nom, oubliant qu’en bon défenseur de la paix il inventa la dynamite ; les Sacklers espéraient que la postérité retienne leur générosité et non leur implication dans cette tragédie contemporaine.
Ce phénomène de dépendance aux stupéfiants pharmaceutiques, notamment déclenché par le succès de l’Oxycontin, relève d’une crise sanitaire et sociale majeure de ce début du XXIe siècle. En effet, les inégalités d’accès aux soins expliquent souvent le recours à ces médicaments efficaces et jugés moins coûteux. Par exemple, en 2013, une boîte d’Oxycontin de 28 cachets de 30 mg coûtait 42,33€, le tout remboursable à 65% pour les douleurs chroniques d’origine cancéreuse.
En 2019, une épidémie d’overdoses frappe les États-Unis et conduit à la mort de 125 000 personnes selon l’OMS. Drogue dure au même titre que le crack ou la cocaïne, l’Oxycontin est pourtant bien légale. Elle s’est répandue dans des États américains tels que l’Alabama, l’Ohio ou encore la Virginie Occidentale, qui n’avaient jamais eu auparavant à faire face à des crises sanitaires d’une telle ampleur. Les dispositifs contre les drogues et les addictions y sont donc très rares. Ainsi, les gouvernements étasuniens rencontrent des difficultés à prendre des mesures drastiques pour limiter sa consommation.
Le triomphe de l’Oxycontin et d’autres drogues similaires est devenu immense, et pas seulement aux États-Unis. Selon le Réseau de prévention des addictions (RESPADD), en France « le nombre d’hospitalisations liées aux opioïdes a été multiplié par 4 en 20 ans, passant de 704 en 1997 à 2 586 en 2017 ». Toujours dans l’hexagone, près de 10 millions de patients se sont vus prescrire une ordonnance pour ces antalgiques.
Au commencement
Revenons quelques années auparavant : en 1952, aux États-Unis deux frères, Raymond et Mortimer Sackler, rachètent une petite société. Les deux jeunes concentrent leurs recherches en particulier sur le traitement de la douleur. Ils baptisent leur entreprise Purdue Pharma. À partir de 1996, le laboratoire lance la commercialisation de son produit phare : l’OxyContin. C’est un immense succès. Il ne faut que quelques années aux frères Sackler pour amasser une fortune colossale et fonder un réel empire familial. Parallèlement, les Sacklers se montrent extrêmement philanthropiques : entre 1995 et 2015, ils font don de 9 millions de dollars au musée Guggenheim de New York. Une somme extraordinaire qui, évidemment, ne laisse pas le monde de la culture indifférent. Le nom des Sackler figure parmi le haut du classement des mécènes les plus généreux. De Harvard à Columbia en passant par Le Louvre, Yale et Oxford, « Sackler » apparaît en grosses lettres dans les universités et les institutions culturelles les plus prestigieuses. Oxford avait par exemple baptisé plusieurs de ses bâtiments au nom de la famille.Mais en 2016, le Los Angeles Times révèle l’envers du décors des activités fallacieuses de Purdue Pharma. Rapidement, on commence à reprocher à la société d’avoir menti sur les conséquences de l’usage des opioïdes. L’entreprise n’en démord pas : pour elle, la dépendance est due à un mauvais usage du produit par les patient.e.s. En 2021, le journaliste Patrick Radden Keefe publie une enquête intitulée *Empire of Pain*, dans laquelle il révèle l’affaire Purdue Pharma et son lien avec la famille Sackler. Il explique également comment la firme a mis en place une stratégie commerciale infâme et mensongère afin de promouvoir l’OxyContin à travers tous les États-Unis. Dans la série *Painkiller*, on apprend par ailleurs que l’entreprise a réussi à se faire attribuer le label « faiblement addictif » par la FDA en soudoyant Curtis Wright, le médecin chargé du dossier. Dans cet élan d’atrocités, Purdue Pharma a persuadé les médecins que leur médicament était sans danger. Dans son ouvrage *Dopesick* publié en 2018, Beth Macy écrit : « Les représentants peuvent venir avant les fêtes pour déposer une dinde qu’un médecin pourrait rapporter à la maison […]. Pour attirer l’attention des médecins les plus pressés, les représentants les invitent à se rencontrer dans une station-service voisine, où ils achètent un plein d’essence aux médecins et leur vantent leurs marchandises ». La société n’a pas hésité à recourir à ce genre de pratiques en offrant des voyages ou des cadeaux exceptionnels aux délégués médicaux qui réussissaient à convaincre les médecins de prescrire le médicament. N’importe quel luxe était bon à offrir. Cerise sur le gâteau : l’entreprise a développé un « merch » autour de l’Oxycontin. On pouvait alors trouver des produits dérivés tels que des pulls, des tasses ou encore des peluches à l’effigie de la marque.
L’art pour mieux dénoncer
Les artistes jouent aussi un rôle dans la mise en lumière de la dualité des Sackler. Dominic Esposito, sculpteur et activiste, a conçu en 2018 une cuillère géante représentant celles servant à la consommation d’opiacés et l’a placée à différents endroits, bloquant l’entrée du siège de Purdue Pharma et de la FDA pour éveiller les consciences. Nan Goldin, avec son documentaire *Toute la beauté et le sang versé*, a su toucher, conscientiser et sensibiliser le grand public. Son collectif PAIN a également fait pression sur les établissements culturels pour qu’ils retirent le nom des Sackler et refusent leur mécénat. Depuis cette affaire, les musées et les universités notamment, ont pris des mesures pour préserver leur image : au Louvre, l’Aile Sackler a été débaptisée. Les institutions étaient-elles au courant de la provenance des dons de la famille Sackler ? Ont-elles ignoré la situation jusqu’à ce qu’on les y confronte de force ?Récemment, Purdue Pharma et les Sackler ont scellé un accord avec 15 États américains les engageant à payer 7,4 milliards de dollars en raison de leur rôle dans la crise des opioïdes. La famille Sackler a une réputation à double tranchant. L’argent acquis sur la douleur des patients a servi à financer le monde de la culture et de l’éducation. Elle qui pensait pouvoir se cacher éternellement derrière son image immaculée de parfaite philanthrope s’est faite démasquer. Purdue Pharma et la famille Sackler font désormais concurrence à Dr Jekyll et Mr Hyde.
De la même manière que l’on retient Pierre Coubertin pour les Jeux olympiques sans évoquer son admiration pour Hitler, ou que l’on célèbre Alfred Nobel pour les prix du même nom, oubliant qu’en bon défenseur de la paix il inventa la dynamite ; les Sacklers espéraient que la postérité retienne leur générosité et non leur implication dans cette tragédie contemporaine.
