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La course à l’espace, history ou herstory ?

Un article initialement paru dans le numéro 42 « Décrocher la Lune »

Le prochaine équipée se rendant sur la Lune sera plus représentative des identités et des origines de la population états-unienne. La ségrégation raciale ainsi que le sexisme n’épargnaient pas le domaine de la conquête spatiale. Pourtant, malgré l’inégalité de traitement, des femmes ont œuvré à la réussite spatiale. Retour sur leurs parcours édifiants.

 

Tout le monde se souvient du “petit pas pour l’homme…” mais pourquoi oublier celles qui oeuvraient dans l’ombre depuis le début pour que ce “petit pas” soit un jour possible ? “Décrocher la Lune”, partir à la conquête spatiale, ces rêves ont certes été ceux de nombreux hommes, mais également de nombreuses femmes qui ont prouvé qu’elles étaient à la hauteur de leurs homologues masculins. Conquête spatiale, conquête féminine pourrait-on ainsi dire… c’est en tout cas ce que nous laisse penser l’histoire de trois femmes noires engagées dans la NASA dans les années 50 : Katherine Johnson, Mary Jackson, et Dorothy Vaughan. Grâce à ces trois mathématiciennes, les américains sont parvenus à devancer le bloc de l’Est dans la conquête spatiale.

Les “figures de l’ombre” de la Nasa

Remontons dans le temps… Nous sommes en 1969, les Rolling Stones chantent Satisfaction et le mouvement hippie bat son plein. Derrière cette ambiance festive, une bataille est en train de se livrer. Elle oppose, depuis les années 50, les Etats-Unis à l’URSS, qui en pleine guerre froide, ont décidé de poursuivre le conflit dans l’espace. Katherine Johnson derrière son poste de télévision, dans son bureau, observe attentivement le décollage de la fusée de la mission Apollo 11 pour la Lune. Elle est concernée plus qu’une autre personne, car c’est elle qui a aidé à préciser les trajectoires spatiales.

Née en 1918 en Virginie-Occidentale d’un père bûcheron et d’une mère enseignante, Katherine était ce qu’on pourrait appeler “une surdouée”. A 14 ans seulement, elle obtient son diplôme d’école secondaire et poursuit ses études jusqu’à obtenir un doctorat en mathématiques. En 1953, elle rentre à la NASA, alors nommée la NACA. Son travail, passé sous silence par ses homologues de la NASA, fut pourtant essentiel.

D’abord calculatrice humaine à l’époque où les ordinateurs faisaient leurs débuts, Katherine Johnson sera ensuite sélectionnée grâce à ses compétences mathématiques pour plusieurs missions de première importance. “Mercury-Redstone 3” et le premier lancement d’un Américain, Alan Shepard, dans l’espace, et ensuite “Mercury-Atlas 6” qui envoya John Glenn en orbite terrestre, sont autant de missions rendues possibles par les calculs décisifs de Katherine. “Si elle dit qu’ils sont bons, je suis prêt à partir.” affirmait même en 1962 John Glenn avant de se rendre dans l’espace, fondant son destin et son entière confiance dans les calculs de la mathématicienne.

Autre personnalité majeure dans la course à l’espace, Mary Jackson est née en Virginie. Passée par la Phenix High School, elle est ensuite admise à l’université de Hampton et obtient une licence en mathématiques et sciences physiques. Par la suite, elle devient professeure, puis réceptionniste, avant d’intégrer un groupe de calculatrices à la NACA, sans pouvoir prétendre à un diplôme d’ingénieure. C’est à ce moment-là qu’elle fait la rencontre de Katherine et Dorothy.

Mais c’est réellement de sa rencontre avec Kazimierz Czarnecki en 1953 qui l’invite à travailler avec lui au département de recherche sur la compressibilité que va naître chez Mary Jackson une envie irrépressible de devenir ingénieure. Ce qu’elle fera en 1958 lorsqu’elle deviendra la première femme noire ingénieure de la NASA.

Ayant fait l’expérience dans sa carrière des inégalités rencontrées par les femmes et les minorités dans la NASA, Mary Jackson décide de s’engager en faveur de l’égalité des chances. C’est ainsi qu’elle crée dans les années 70 une soufflerie supersonique dans la ville de Hampton afin d’encourager les jeunes filles à s’engager dans les études scientifiques.

Comme ses consoeurs, Dorothy Vaughan, née dans l’État du Missouri, enseigne d’abord les mathématiques, avant de pousser en 1943 les portes de la NASA en intégrant les “West computers”. Ce groupe de femmes mathématiciennes était chargé d’effectuer des calculs complexes à destination de la recherche aéronautique. En 1949, elle devient directrice du West Area Computers, et par la même occasion une des premières femmes à occuper un poste de superviseuse.

En 1961, alors que la NASA commence à se doter de son premier ordinateur, Dorothy Vaughan décide d’en faire un atout, une opportunité, et se spécialise dans le secteur du calcul numérique. A la fin de sa carrière, elle est ainsi experte en programmation informatique, et enseigne le langage Fortran à ses collègues.

Des mathématiciennes noirs à l’écart de leurs collègues blancs

Katherine Johnson, Mary Jackson, Dorothy Vaughan, chacune, à leur manière, ont participé à laisser une marque immuable sur l’histoire de la conquête spatiale. Un constat qui peut paraître paradoxal si on le met au regard du contexte ségrégationniste des lois américaines. Les trois mathématiciennes ont ainsi subi un “double handicap” dans leur profession, tour à tour discriminées du fait de leur sexe, mais aussi de leur couleur de peau.

Le premier handicap dans l’Amérique des années 50 pour une femme de couleur était l’accés aux études. Priver les populations noires de suivre certaines études, constituait defacto une manière de les empêcher d’exercer certains métiers, notamment des métiers valorisés par la société leur permettant de s’extraire de leur condition matérielle. L’emprunt limité de livres à la bibliothèque pour les personnes noires, la ségrégation des écoles publiques jusqu’en 1953 ou encore l’inaccès à certaines études sont autant d’éléments qui étaient présents pour garantir un ordre hiérarchisé à la faveur des blancs.

C’est ce dont témoigne le parcours de Mary Jackson qui a dû par exemple mener une véritable bataille juridique pour suivre les cours dispensés au lycée d’Hampton pour devenir ingénieure. A cette époque, le lycée est réservé uniquement aux blancs du fait de lois ségrégationnistes (Jim Crow) interdisant aux noirs ce type d’études. Mary Jackson est alors contrainte de demander à un juge la permission d’étudier dans une université blanche, ce qui lui est finalement accordé.

Un autre obstacle rencontré par les mathématiciens, notamment Katherine Johnson, est l’interdiction pour les femmes d’assister à certaines réunions de la NASA. En effet, Katherine Johnson s’est vue refuser au début de sa carrière l’accès à certaines réunions. Mais à force de persévérance, elle est parvenue à avoir accès, tout comme ses collègues masculins, aux réunions, sans quoi elle ne disposait pas des informations nécessaires pour son travail et ne pouvait participer aux délibérations.

Ces discriminations du quotidien rencontrées par les trois femmes sont également visibles dans le système ségrégationniste même. Dorothy Vaughan a été, dans le début de sa carrière, affectée à la West Area Computers en Virginie, une unité ségréguée comme il en existait beaucoup à la NASA. Les mathématiciennes noires pouvaient dès lors faire leurs recherches, mais devaient suivre plusieurs règles, comme celle d’utiliser des toilettes séparées de celles de leurs homologues blancs. Ce qui était d’une certaine manière un moyen de leur faire perdre du temps, la plupart des toilettes noires se trouvant loin de leur lieu de travail.

Décrocher la Lune en 2023, un rêve pour tou.te.s ?

Néanmoins, malgré les discriminations, malgré les préjugés, les travaux et le parcours de ces trois femmes ont permis de prouver que les femmes noires étaient capables de faire les mêmes choses, voire plus. Grâce à elles, la NASA a été contrainte d’évoluer, de revoir ses méthodes, pour devenir l’une des premières organisations gouvernementales à mettre fin à la ségrégation en son sein. Ainsi, des quotas ont été peu à peu instaurés pour valoriser une discrimination positive envers les minorités. Des politiques continuent d’ailleurs d’être mises en place comme en avril 2022 : la NASA a publié un plan d’action pour “rendre l’espace plus accessible”. Ce programme soutient notamment les efforts du gouvernement américain pour améliorer l’équité raciale au sein du gouvernement fédéral.

En 2019, la première sortie dans l’espace 100% féminine avait lieu depuis la Station spatiale internationale, rappelant que la “conquête de l’espace” demeure très inégale. Aujourd’hui, 90% des astronautes de la NASA sont blancs et seuls 10% sont des femmes. Pour autant, si le domaine spatial est principalement un domaine masculin, les femmes n’ont pas dit leur dernier mot et nombreuses sont celles qui contribuent, chaque jour un peu plus, à faire bouger les lignes. Au-delà des astronautes, en France par exemple, Amicie Monclar, directrice générale de Zephalta, s’attache à rendre le voyage spatial plus écoresponsable, bas carbone.

Ainsi on ne voit pas pourquoi la conquête spatiale, perçue comme l’exploit par excellence pour “l’Homme avec un grand H” ne devrait pas ouvrir ses portes à tous et toutes. Comme le disait l’astronaute Anna Kikina à l’occasion d’une conférence de presse : “L’humanité sur Terre est représentée par deux sexes, il est donc normal que les deux la représentent dans l’espace.” Or, qui sait, le premier humain à “décrocher Mars” pourrait être une femme ?

Nathan Gombert

Illustration : Mila Ferraris

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