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« L’avenir incertain des sans-abri d’Île-de-France »

Le gouvernement a annoncé en mai vouloir inciter les sans-abri à quitter l’Île-de-France et à se diriger vers d’autres régions de France. Dans un même temps, alors que les Jeux Olympiques et Paralympiques approchent, le comité d’organisation des Jeux vient de dévoiler leur slogan officiel « Ouvrons grand les Jeux »…

 

      Après Lionel Jospin qui visait « zéro SDF en 2007 » ou encore Nicolas Sarkozy, en décembre 2006, qui promettait que « d’ici à deux ans, plus personne ne serait obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid », Emmanuel Macron assurait lui aussi en juillet 2017, alors en pleine campagne électoral : « Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus. C’est une question de dignité ».

       Pourtant six ans plus tard, les quelque 3000 sans-abri d’Île de France, recensés lors de la 6ème édition de la Nuit de la Solidarité, loin d’avoir tous été logés comme le promettait Emmanuel Macron, sont incités par le gouvernement à quitter la région. La raison invoquée est le choix des hôteliers de privilégier la clientèle internationale, au détriment des personnes sans abri, 5000 places pour l’hébergement d’urgence auraient déjà été perdues selon la député (Modem) Maud Gatel. Le gouvernement demande donc aux préfets dans les régions de créer des structures pour accueillir les sans-abri d’Île-de-France « sur la base du volontariat ». Selon le ministère du logement, 450 personnes volontaires ont déjà été transférées dans les régions concernées : toutes à l’exception des Hauts-de-France et de la Corse. Ces personnes passeraient par un « sas d’accueil temporaire régional » en arrivant avant que leur cas soit étudié et qu’ils soient orientés vers un « hébergement en fonction de leur situation ».

     Le dispositif concerne surtout les migrants nombreux à vivre dans la rue en Île-de-France ou en hébergement d’urgence. Cependant le ministère du logement s’est empressé de préciser à l’Agence France Presse qu’ils n’étaient pas visés spécifiquement. Et c’est là une nouveauté, depuis 2018 et la loi sur l’immigration : les demandeurs d’asile peuvent être orientés d’une région à l’autre pendant des mois, mais cette fois, toute personne sans domicile fixe peut être amenée à changer de région. À événement exceptionnel, mesure exceptionnelle ?

     Malgré les précautions prises par le gouvernement dans sa communication, ce dispositif suscite de l’inquiétude. Dans un entretien accordé à Ouest France, le maire Philippe Salmon (divers gauche) de Bruz en Ille-et-Vilaine, s’est opposé à la construction d’un sas dans sa commune car les conditions d’accueil sont jugées « indignes ». Il critique surtout le choix du site, « dangereux car jouxtant la voie ferrée » et pollué « par des hydrocarbures et des métaux lourds ». Enfin, les personnes déplacées ne seraient pas forcément volontaires, d’après la préfecture… « certaines d’entre elles ont un travail sur Paris et souhaiteraient y retourner malgré leurs conditions de vie précaires ». La fondation Abbé Pierre se montre elle aussi réticente car les régions sont loin d’avoir toutes construit ou réhabilité de nouveaux lieux d’accueil. Les arrivants pourraient, après leur bref passage dans les sas, se retrouver en concurrence avec d’autres personnes SDF qui sont déjà en attente de logements. Enfin, Éric Constantin, responsable de la fondation Abbé Pierre en Île-de-France, ajoute que l’on peut « s’étonner de la concordance de l’arrivée des Jeux Olympiques et d’un programme qui vise à envoyer les migrants en province » : de quoi nourrir la polémique. Évidemment, le gouvernement se défend de vouloir inciter les sans-abri à quitter l’Île-de-France pour assurer un Paris de carte postale aux dix millions de visiteurs attendus en 2024.

     Mais le comité d’organisation des Jeux Olympiques n’est plus à une polémique près. En mai, l’annonce de la réquisition de 3000 logements du Crous destinés aux étudiants en situation précaire pour loger les athlètes de délégations étrangères avait déjà fait réagir. Il rassurait en promettant aux étudiants qui le souhaitent un relogement et le Crous se défendait sur Twitter : « les #JO2024 constituent un événement exceptionnel pour notre pays. Les Crous comme l’ensemble des acteurs publics, seront au rendez pour assurer leur réussite ». Une réussite garantie…visiblement sans certains étudiants, ni les sans-abri de Paris. On est loin du slogan fièrement affiché par les organisateurs de l’événement, « Ouvrons grand les Jeux ».

Manon Kubiak 

Illustration : Céèf 

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