À chaque fois que le professeur faisait un parallélisme entre Guerre et Paix dans notre cours de civilisation, mon cerveau s’agitait et je commençais à rire de manière interne. Je me rappelais à ce même instant d’où exactement j’avais arrêté de le lire. Je ne m’en voulais pas de ne pas l’avoir fini et je ne vais jamais m’en vouloir si je ne le finis jamais.
À partir du premier moment où le professeur nomma l’énorme ouvrage, je commençais à prêter plus d’attention aux parenthèses qu’il faisait et des topoï surgirent au fur et à mesure : Nietzsche, Tolstoï, Dostoïevski revenaient.
Soudainement, j’ai eu l’envie de relire Les Frères Karamazov mais je m’abstins parce que sur ma table de chevet s’empilaient de plus en plus des livres et en ce moment Thomas Hardy, Henri Bergson et Driss Chraïbi devenaient presque des impositions. Je redevins obsédée par ces parenthèses et je les attendais. J’attendais de connaître plus de références, parce que ces références étaient comme les miennes.
Finalement, je compris qu’il s’agissait des références du monde entier et je me remémorais Hugo et son « Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! », tout d’un coup je me sentis soulagée.
En m’introspectant je découvris que je n’avais guère besoin de devenir transcendantale mais que je ne voulais pas non plus vivre plongée dans une constante aurea mediocritas. Je découvris mes obsessions alors, mes vices, les choses qui me faisaient me sentir un peu plus moi.
Vice c’est moi :
- qui essaie de lire les couvertures des bouquins que les gens lisent dans le métro et à la fac
- qui découvre qu’elle est en train de lire Choderlos de Laclos en se mordant les lèvres
- qui n’arrête pas de mettre du baume à lèvres pour juste après se les crever avec les doigts
- qui décide de switch languages just to say one thing that seems so much clearer in English than in French like “to put it all in a nutshell” or “you are making mountains out of molehills” and right after be ashamed of it
- qui écoute en boucle « BULERÍAS DE UN CABALLO MALO » pour répéter à chaque fois le « Sometimes i feel Guardame Guardame Guardame » en criant et penser que c’est le climax de mon existence
- qui n’arrête pas de boire du thé matcha
- qui me mords les ongles
- qui ai peur de louper des CM d’Histoire parce que je n’aime pas ne pas connaître ce que le professeur a dit, mais me mentir en me disant que ce qui m’importe c’est le métadiscours du professeur
- qui remplis ma gourde à la BSG juste pour faire une pause éloignée de ce que l’on pourrait considérer comme nécessaire
- qui rigole avec lui sur qui on épouserait si on devait choisir entre Hadrien ou Trajan
- qui allonge de manière surdimensionnée les voyelles longues en faisant mes exercices d’arabe pour le cours de grammaire à 8h un lundi
- qui bois une tisane avant de dormir en croyant que ça va m’aider à concilier le sommeil
- qui parle de plus en plus en TD de Romaine sans avoir peur de me tromper et de confondre la sacro sanctitas, la puissance tribunitienne, l’auctoritas et la potestas
- qui cherche des synonymes et des connecteurs logiques lorsque je dois faire un DM
- qui écoute le cover de « I See A Darkness » de Rosalía avant de prendre un vol pour rentrer chez moi
- qui, égoïste que je suis, utilise « je » et « moi » dans le même énoncé en ignorant « La vie de Henri Brulard » de Stendhal et de son « De je mis avec moi tu fais la récidive »
- qui me rappelle de ses yeux oranges et du qipao bleu sur elle
- décide de faire une liste en énumérant mes vices pour sortir de mon supposé «genre littéraire » et vouloir créer un récit anxiogène
sauf que moi,
je ne suis pas Bukowski.
Moi, je ne veux pas faire les choses pour plaire au plus grand nombre, peut-être que, au fond, je suis un peu comme lui après tout.
Sarah Rollán El Kasri Gritli
Illustration : Mila Ferraris