Le ler novembre 2022, à quelques jours du début de la coupe du monde de football très controversée au Qatar, le président français déclarait aux micros des journalistes : « Il ne faut pas politiser le sport ». Cette affirmation se fait entendre alors que la France se prépare à organiser les prochains Jeux Olympiques. Son intervention semble déjà anticiper les polémiques qui pourraient émerger autour des JO de Paris 2024, illustrant ainsi le lien profond entre sport et politique. Le sport, loin d’être un domaine neutre, agit comme un révélateur des rapports de force sociaux et économiques. Il s’inscrit dans la notion de soft power, théorisée par Joseph Nye dans The Means to Success in World Politics (2004). Selon Nye, la persuasion et l’attraction constituent des outils essentiels de rayonnement politique, des concepts que le monde du sport exploite sans ambiguïté. Ce dossier s’attache à explorer trois dimensions de cet écosystème à la fois politique et politisé. D’une part, l’expansion d’une ligue de basket étasunienne en Europe met en lumière une volonté de domination culturelle des États-Unis. D’autre part, cette aspiration à l’hégémonie culturelle se manifeste également à travers les idéologies véhiculées, notamment via le football, un sport souvent marqué par des valeurs identitaires et virilistes. Ce virilisme, paradoxalement, se heurte aux revendications des athlètes féminines qui cherchent à réformer les pratiques sportives tout en luttant contre les violences sexuelles et sexistes, des enjeux persistants encore enracinés dans le milieu sportif.
QUE LA MEILLEURE LIGUE GAGNE
« World Champions of what ? The United States », c’est dans un élan de folie, daté d’août 2023, que Noah Lyles, sprinter américain, s’amuse de l’appellation « Champions du Monde » qu’aborde fièrement les vainqueurs de la NBA Derrière l’arrogance qui se dégage de ce titre, une réalité s’impose : la domination hégémonique des États-Unis a été très rarement remise en cause depuis l’invention du sport. Mais, l’internationalisation du basket porté par la NBA depuis trente ans, a permis de développer une concurrence qui leur fait maintenant de l’ombre. La façade s’effondre réellement aux yeux du monde au moment de la Coupe du Monde 2023, lorsque les États-Unis perdent face à leurs voisins canadiens, dont les joueurs évoluent majoritairement en NBA. Vécue comme une humiliation, cette défaite grasse ligue depuis deux décennies à rassembler une équipe d’Avengers. L’objectif est simple : rappeler au monde que la domination étasunienne ne peut et ne doit pas être contestée. C’est dans une volonté similaire qu’en janvier 2025 le dirigeant de la NBA, Adam Silver, exprime l’idée de créer une ligue en Europe où les équipes européennes s’affronteraient entre elles. Vieux serpent de mer, déjà évoqué dans les années 1990, ce projet d’installation n’est plus seulement le symbole d’une internationalisation d’un modèle. En effet, en mettant en avant les possibilités commerciales que la ligue étasunienne pourrait développer en Europe, Adam Silver souhaite redevenir le chef d’orchestre du basket mondial.
La NBA en perte de vitesse : un déclin ou une transition ?
À première vue, la domination du Nouveau continent sur le monde du basket ne semble pas dégradée par la globalisation de ce sport débutée dans les années 1990. Mais, bien que 70% des joueurs de la grande ligue restent originaires des Etats-Unis, si on fait les comptes plus en détail, les preuves d’une relégation s’accumulent d’année en année : les six derniers meilleurs joueurs sont européens, tout comme les deux derniers picks de draft. L’élite du basket n’est donc plus étasunienne, et cela dénote forcément avec le caractère national de la ligue. Le manque d’identification à un visage américain dans une ligue nationale est un problème pour la NBA, qui ne veut pas seulement être une ligue de basket, mais bien une « lifestyle brand’». Devenue maîtresse dans l’art de présenter le sport comme un spectacle, la ligue ne semble pourtant plus aussi attractive qu’avant. Les chiffres sont parlants, selon ESPN, les audiences ont chuté de 48% depuis douze ans. C’est d’autant plus préoccupant que le basket est, par essence, un sport de masse, très populaire. Ce n’est donc pas un désintérêt du sport, mais bien de la NBA qui surexploite le modèle de spectacle sportif. La ligue en a parfaitement conscience et entame une première transition en signant un nouveau contrat de télévision en juillet 2024 avec Disney, NBC et Amazon pour la coquette somme de 76 milliards de dollars sur onze ans. Son partenariat avec Amazon Prime permet à la NBA de s’adapter aux nouvelles manières de consommer, mais aussi de toucher la plus large audience possible. Cette volonté de s’élargir à un nouveau public est aussi palpable dans la conception du basket mondial qu’élabore Adam Silver. Il ne cache pas son intention de conquérir le monde, en commençant par l’Europe.
L’Euroligue, un concurrent au pied d’argile
Comparée à la étasunienne, l’Europe grande ligue semble bien désunie et désorganisée avec ses quatre championnats. Parmi ce chaos, une compétition sort du lot : l’Euroligue. Bien qu’historiquement installée en Europe, l’Euroligue a un problème majeur, elle n’est pas rentable, contrairement à la NBA. Le modèle étasunien maximise la rentabilité à travers un système dit fermé, où les équipes n’ont pas à craindre une relégation, car elles paient seulement pour entrer dans la ligue?. Même si la compétitivité de l’équipe est importante pour son attractivité, et donc pour ses revenus, les périodes de baisse de régime sont beaucoup moins préjudiciables que dans un système européen où la relégation est synonyme de perte d’exposition et de financements. L’Euroligue s’inspire du modèle de la NBA mais sans avoir réussi à imposer son monopole comme cette dernière ; figure d’autorité sportive, mais non commerciale. La dette de 20,8 millions d’euros sur la saison 2023-2024 du Real Madrid, vainqueur de la ligue européenne est presque banale dans l’écosystème de l’Euroligue. Très souvent organisée en club omnisports, la section basket peut compter sur le football, qui est lui rentable à travers sa billetterie, ses droits télévisuels, ses vedettes, et ses sponsors. Si un club de foot ne compense pas les déficits, l’argent d’un riche sponsor peut le faire, comme les Koç avec le club turc, le Fenerbahçe. L’investissement des clubs ou des particuliers est l’arbre qui cache la forêt : l’Euroligue n’est simplement pas rentable, bien qu’elle concentre les meilleures équipes. Alors que la popularité du football semble inégalable, l’incapacité de l’Euroligue à capitaliser sur sa valeur sportive fait de la futur ligue étasunienne un concurrent de poids.
La conquête vers l’Est : le spectacle sportif qui gagne à la fin
C’est en janvier 2023 qu’Adam Silver a évoqué clairement la volonté d’installer une ligue en Europe qui serait une chance « to create a larger commercial opportunity ». Pour le commissioner, la valeur sportive européenne n’a fait que grandir, alors que le développement commercial ne lui a pas emboîté le pas. Il propose donc son savoir-faire en matière de business sportif. Dans ce projet, il cible particulièrement les « young consumers » car, outre leurs potentiels commerciaux, c’est aussi une manière pour la ligue d’empêcher tout développement d’un marché européen hors de son giron. Les jeunes Européens grandissent avec la NBA comme modèle de référence, alors que l’Euroligue peine à trouver sa place dans l’écosystème médiatique européen. Mais, la présence et la domination croissante des Européens dans la grande ligue, preuve de leuqualité de jeu, met indirectement de la lumière sur la compétition européenne.
Derrière les raisons commerciales, il y a donc aussi l’idée de reprendre en main les clés du basket mondial. Cependant, cette potentielle arrivée éveille des craintes d’américanisation du basket européen, même si Adam Silver se veut rassurant. Dans les faits, la possible extension dans des marchés où la culture basket est inexistante comme en Angleterre fait craindre la perte d’une dimension européenne du basket, où le jeu collectif et la culture de fan laisseraient place à une individualisation du jeu et une gentrification du public. Cette évolution pourrait reléguer au second plan des clubs plus petits qui touchent moins de consommateurs, mais qui sont les plus gros garants de la culture européenne de basket. Si Adam Silver assure qu’il « want[s) to be part of a larger écosystème », la seule question qui demeure est donc sur la direction de cet écosystème. La conférence conjointe de la NBA et la FIBA du 27 mars 2025 acte la création d’une ligue étasunienne en Europe. Dès 2022, Adam Silver, lors d’une interview, mentionne que la « destinée manifeste [de la NBA est] de continuer à grandir que ce soit aux États-Unis comme en-dehors des États-Unis ». C’est donc trois ans plus tard que la conquête vers l’Est est officiellement lancée et elle fait déjà trembler l’écosystème européen puisque quatres clubs historiques n’ont pas encore renouvelé leurs licences avec le partenaire de l’Euroligue, IMG. L’accord tarde à venir, alors que l’ancien joueur de la NBA et maintenant président de L’ASVEL, Tony Parker, ne cache pas son impatience quant à l’arrivée du géant américain sur le Vieux Continent.
Clara STOCCO
