Empires galactiques, diviser pour mieux classer

par Aurore Mazur

 

Par des nuits noires, en levant la tête, se distingue un long ruban lumineux qui traverse le ciel : c’est la Voie lactée. Elle héberge notre Système solaire, mais abrite également de nombreux autres systèmes planétaires orbitant autour d’étoiles. La présence de nuages de gaz et de poussières interstellaires permettent ainsi de former un ensemble lié, appelé galaxie. La Voie lactée en est une et fait donc partie d’un des constituants majeurs de notre Univers.

Nébuleuses et premier catalogue

Si aujourd’hui la communauté scientifique reconnaît le fait que la Voie lactée est une galaxie parmi tant d’autres, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, à cause des limitations technologiques dans le domaine de l’observation, tous les objets diffus(1) furent désignés de la même façon, sous l’appellation  « nébuleuses ». 

L’idée que, parmi elles, certaines puissent être en réalité d’autres galaxies a été développée tout d’abord par Pierre-Louis Maupertuis en 1745, puis par Thomas Wright en 1750. Cinq ans plus tard, Immanuel Kant a repris leurs travaux dans son ouvrage Histoire générale de la nature et Théorie du ciel pour y développer l’hypothèse que ces « nébuleuses » seraient des « Univers-îles » dont la Voie lactée serait seulement l’une d’entre elles.

Les premiers catalogues d’objets diffus furent publiés dès 1774, grâce à Charles Messier, afin que les astronomes puissent différencier ces objets des comètes – petits corps de glace et de poussières qui deviennent brillants en s’approchant du Soleil –, pour ne pas les induire en erreur lors de la recherche de ces dernières. A cette date, le catalogue ne comptait que quarante-cinq sources. Il s’est ensuite étoffé au fil des années puisqu’en 1784, il en  référençait 103. Depuis les années soixante, il en contient 110.

Instruments et prémices de classification

De l’autre côté de la Manche, l’astronome d’origine allemande William Herschel, qui a découvert Uranus en 1781,  a aussi introduit un catalogue d’objets à l’aide de son premier télescope qu’il confectionna en 1776. Il a pu  référencer de nombreux corps célestes et établir une classification des nébuleuses observées en se basant sur leur luminosité, leur taille, et leur forme. Malheureusement, la résolution de son instrument ne permettait pas de mettre en évidence les détails de leurs structures. Néanmoins, dès 1845, grâce au gigantesque télescope de William Parsons (Lord Rosse), l’architecture en bras spiraux a pu être observée pour deux objets du catalogue Messier : M33 et M51, connus aujourd’hui respectivement sous les noms de la galaxie du Triangle et du Tourbillon.

Grâce à l’invention de la photographie et à son essor, une première classification de galaxies a été créée par Max Wolf en 1908. Ce catalogue basé sur des clichés comporte seize classes, chacune représentée par une lettre, allant de g à w. Les premières lettres correspondent aux dites nébuleuses amorphes, sans structures spirales, tandis que les dernières lettres sont associées à celles qui ont des bras spiraux très développés.

Débat et preuve de l’existence des galaxies

Cependant, les scientifiques ne savaient toujours pas à ce moment-là si ces « nébuleuses » étaient de simples nuages de gaz appartenant à la Voie lactée, ou si elles étaient des mondes à part entière en dehors de la Voie lactée. Un grand débat avait alors éclaté entre deux astronomes le 26 Avril 1920 

au Smithsonian Museum d’histoire naturelle pour trancher sur leur nature. Heber Curtis prétendait que les « nébuleuses » spirales sont des galaxies comme la nôtre et que la Voie lactée n’en est qu’une parmi une infinité, tandis que Harlow Shapley défendait l’idée qu’il existe qu’une unique galaxie dans l’Univers, la Voie Lactée, et que les « nébuleuses » sont seulement des nuages à l’intérieur de cette dernière. Edwin Hubble mit fin au débat grâce aux Céphéides. Ces  étoiles pulsantes, habituellement très lumineuses, semblent montrer une luminosité très atténuée. Ainsi les « nébuleuses » qui contiennent ces Céphéides doivent être tellement éloignées qu’elles ne peuvent pas appartenir à la Voie lactée. C’est à partir de ce moment-là que les galaxies ont été distinguées des nébuleuses. 

La séquence de Hubble : guide de tri

Edwin Hubble est également célèbre pour avoir classé morphologiquement les galaxies, c’est la séquence de Hubble (1926). Après l’analyse de milliers de photographies, il a alors trié les galaxies selon leur structure et en fonction de deux grands groupes : les formes régulières (représentant 97 % de ses observations) et irrégulières. Les galaxies régulières forment une séquence progressive, partant des galaxies elliptiques(2) (symbolisées par la lettre E), d’allure globulaire ou sphérique, et en finissant par des galaxies spirales(3) (symbolisées par la lettre S et SB pour les barrées), composées d’un disque et de bras spiraux gorgés d’étoiles. Toutes les autres, soit environ 3% des galaxies connues dans l’Univers, sont considérées hors catégorie et font parties de la classe des irrégulières.

Les galaxies elliptiques sont différenciées entre elles par rapport à leur degré d’aplatissement, indiqué par un chiffre compris entre 0 et 7. Il est attribué pour les galaxies les plus sphériques le type E0, et pour les plus aplaties, le type E7. Quant aux galaxies spirales, elles peuvent présenter en leur centre une barrette d’étoiles (qualifiée de spirales barrées dans ce cas, noté SB), et se divisent en trois sous-sections nommées a ,b et c. Celles-ci reposent sur trois critères corrélés, que sont la taille relative du bulbe, la partie centrale sphérique de la galaxie (diminue de a vers c), l’enroulement des bras (très serrés pour a et très ouverts pour c), et la résolution des composantes lumineuses des bras (allant du peu distinguable pour a, vers le résolu pour c). 

La classification construite prend alors une forme de diapason, avec sept catégories de galaxies elliptiques et deux familles de galaxies spirales, subdivisées en trois sous-groupes. Le grand groupe des galaxies irrégulières n’apparaissent pas dans la forme de diapason, mais dans la classification générale puisqu’elles n’ont ni symétrie, ni forme clairement définie. Elles portent le nom de galaxies magellaniques, c’est-à-dire des galaxies qui ressemblent aux nuages de Magellan.

Actualisation et innovation

En 1936, Hubble a réorganisé légèrement sa classification en y introduisant deux nouveaux types de galaxies : les galaxies lenticulaires (notées S0) et les galaxies irrégulières non-magellaniques. Les lenticulaires permettent la transition entre les galaxies elliptiques et les galaxies spirales. En effet, celles-ci sont plus aplaties que les elliptiques, un bulbe peut être visible, et elles n’ont pas de structure spirale. Les sous-groupes des galaxies irrégulières non-magellaniques permettent de classer les galaxies de formes à la fois irrégulières et très chaotiques.

De par sa simplicité, son efficacité et du fait que cette classification englobe la quasi-totalité des galaxies, d’autres astronomes ont affiné cette classification sans en changer la philosophie, comme par exemple Gérard Henri De Vaucouleurs (dès 1956) et Allan Sandage (dès 1961). Les principales modifications de la classification de Hubble ont été notamment l’ajout d’une branche intermédiaire et d’une sous-section (type d) pour les galaxies spirales, ainsi que la séparation des galaxies lenticulaires en deux groupes.

Cette classification de Hubble revisitée par les messieurs De Vaucouleurs et Sandage est sûrement la plus célèbre et est toujours utilisée. En revanche, elle pose certains problèmes, entre autre dans le cas des galaxies distantes. D’autres méthodes de classification ont fait récemment leur apparition (la dernière date de 2003) et permet de trier les galaxies sur un critère de couleur bimodal. Les galaxies dites « bleues » sont les galaxies ayant une population d’étoiles jeunes, avec une formation stellaire importante et une métallicité(4) faible. Les galaxies « rouges » quant à elles, ont une population d’étoiles âgées, avec une métallicité plus élevée et sont plus lumineuses.

Même si ces nouvelles classifications tendent à ranger toutes les galaxies étudiées, l’ombre de la séquence de Hubble–De Vaucouleurs–Sandage plane toujours. Malgré ses imperfections, grâce à sa construction logique et visuelle, qui a tendance à s’imprimer facilement dans les esprits, cette séquence  supplante même parfois toutes les autres tentatives de catégorisation. 

 

1 C’est-à-dire les structures qui se distinguaient de manière floue à travers les instruments optiques. Cette terminologie englobait alors les galaxies, les différentes sortes de nébuleuses (i.e. nuages de gaz et de poussière où se forment les étoiles, mais également émis lors d’explosion d’étoiles) et des amas stellaires (i.e. groupes d’étoiles qui ont été formées ensembles).
2 Les galaxies elliptiques sont des galaxies ellipsoïdale (de la forme circulaire à la forme de cigare selon l’aplatissement), sans structure apparente, constituées d’étoiles vieilles, composées de peu de gaz et de poussières (donc peu ou pas de formation stellaire dans ces galaxies)
3 Les galaxies spirales sont des galaxies composées d’une structure de bras spiraux (avec des étoiles jeunes) et d’un bulbe central (avec des étoiles plutôt âgées). Ces galaxies possèdent nuages de gaz et de poussières avec une formation stellaire importante dans les bras spiraux
4 La métallicité est la proportion d’éléments chimiques plus lourds que l’hélium pour un objet considéré

Références: 

Astronomie Flammarion, sous la direction de J.C Pecker,1985

Les galaxies: histoire et classification, https://www.astrofiles.net/astronomie-les-galaxies-histoire-et-classification-49.html

Cours astrophysique générale,Extragalactic Astronomy & Cosmology : galaxies, M1 SUTS, 2020-2021, A.Zech

Lauriane Delaye. ÉVOLUTION DES PROPRIÉTÉS STRUCTURELLES DES GALAXIES DE TYPE PRÉCOCE DANS DIFFÉRENTS ENVIRONNEMENTS. Cosmologie et astrophysique extragalactique. Université Paris-Diderot – Paris VII, 2013. 

Ressources libres Lumières sur l’Univers, Observatoire de Paris, https://media4.obspm.fr/public/ressources_lu/

Biographie Charles Messier, Observatoire de Paris, https://bibnum.obspm.fr/exhibits/show/messier/messier_biographie

Cours “Gravitation of extended bodies and galactic dynamics:galaxy properties an observation” ,M1 SUTS, 2020-2021, A.Cattaneo

 

 

 

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