You are currently viewing LES MYTHES D’UN COMBAT POUR LE CHOIX – Les mouvements féministes en Iran

LES MYTHES D’UN COMBAT POUR LE CHOIX – Les mouvements féministes en Iran

Dans Féminismes Islamiques, Zahra Ali écrit qu’il faut « décoloniser le féminisme » en arrêtant d’opposer la libération des femmes et la religion musulmane, et en arrêtant de faire du dévoilement des femmes le fer de lance d’une mission civilisatrice. Voyons plutôt qu’il n’y a pas qu’une seule forme de féminisme, qu’il n’existe pas qu’un seul idéal de liberté, et que certains combats gagnés ici, ne le sont pas ailleurs.

 

Le 6 janvier 2024, l’Autorité Judiciaire iranienne confirme avoir infligé soixante-quatorze coups de fouets à une jeune iranienne, Raya Heshmati. La peine s’accompagne d’une condamnation à payer une amende pour « atteinte aux mœurs publiques » due au non-port du voile. Ces mesures ne sont pas rares en Iran, un pays où le régime des Ayatollahs fait sa loi depuis la Révolution Islamique de 1979, qui mettait fin au règne du Shah. L’affirmation d’un régime autoritaire qui se base sur une lecture extrémiste du livre sacré du Coran donne lieu à des mesures répressives, notamment contre les femmes iraniennes. 

Le combat contre l’obligation du port du voile s’est fait entendre dès la Révolution Islamique. Grâce à l’essor des réseaux sociaux, il gagne en visibilité et s’affirme. Le pouvoir et l’ampleur de la médiatisation n’ont fait qu’accentuer vagues de révoltes et vagues de répressions en Iran. La mort de la jeune Mahsa Jina Amini, arrêtée par la police des mœurs pour « mauvais port du voile », n’est que l’étincelle qui embrase de nouveau un feu déjà bien parti, entraînant un déferlement de soutien sur le territoire iranien comme à l’international. Entre caractère répressif du gouvernement et réactions féministes qu’il engendre, l’Iran est un territoire de déflagrations de mythologies.  

La justice iranienne, le glaive de Némésis au-dessus du peuple.

Mythologie d’une répression

La définition même d’un mythe repose sur l’idée de croyance. C’est sur cette croyance dans la lecture littérale du Coran que se fonde la quasi-totalité du régime islamique iranien. Il reprend des éléments précis concernant les croyances avec le rejet des chiites ou encore une lecture sur la tenue physique avec l’obligation des femmes de se couvrir le corps. Les textes sacrés sont au cœur d’une lecture subjective qui s’est cependant répandue jusqu’au niveau gouvernemental, et surtout jusqu’aux branches autoritaires et législatives. Le gouvernement « tient compte de la loi islamique (charia) et repose sur le principe de la tutelle du jurisconsulte (velayat-e faqih) : la Constitution iranienne place l’ensemble des institutions (politiques, judiciaires, militaires et médiatiques) sous l’autorité du Guide suprême de la Révolution islamique. »

De nombreux exemples de mesures répressives sont reportés quotidiennement. Selon Amnesty International « 108 211 signalements relatifs à l’obligation du port du voile ont été effectués concernant des « infractions » observées dans des commerces » et « 300 « délinquantes » ont été identifiées et déférées devant la justice », des données qui ne paraissent être que la partie émergée de l’iceberg. Entre amende, privation de certains services publics, saisie de véhicule, familles menacées et possible interdiction d’exercer certains métiers, de quitter le pays ou à l’inverse d’exil forcé, les répercussions sont massives. Parmi toutes ces obligations, on peut assister à une mise en place d’une idéologie de répression qui pousse les Iraniens à se retourner les uns contre les autres. Les conséquences du non-port du voile ne visent pas uniquement les femmes mais également les enseignes qui ne font pas respecter l’obligation. De même, les personnes qui encouragent la transgression risquent un à dix ans de prison ferme. 

La justification de la répression est alors difficile sur la scène internationale, l’ONU a pris la parole en mai 2023 et évoque des « confessions obtenues sous torture » et une « violation du droit à la vie » mettant alors en lumières le caractère profondément sanglant du régime islamique. Le régime est la source d’importantes inquiétudes internationales, le 15 décembre 2022, le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) adopte une résolution pour retirer l’Iran de la Commission de la condition de la femme jusqu’en 2026. La Commission étant l’organe principal des Nations Unies dans la promotion de l’égalité des genres et de l’autonomisation des femmes selon l’Ambassadrice américaine Linda-Thomas Greenfield, le gouvernement iranien rejette la résolution avec force dans l’optique de conserver de bonnes relations internationales dans l’ONU. Près d’un an plus tard, le Parlement iranien accepte un projet de loi pouvant condamner les femmes jusqu’à dix ans de prison en cas d’opposition au port du voile obligatoire, une décision que l’ONU, en septembre 2023, juge  « répressive », « humiliante » et traitant les femmes comme des « citoyens de seconde zone ». Selon l’ONG Amnesty International, la police de la moralité « soumet régulièrement les Iraniennes à des détentions arbitraires, des tortures et des mauvais traitements ». 

Les féminismes islamiques, un combat de David face à Goliath.

Mythologie d’une rébellion 

Chaque mythologie du pouvoir rencontre une opposition. Elles sont nombreuses à se rebeller contre les diverses mesures répressives en Iran. C’est après la mort de Mahsa Jina Amini que les mouvements de « féminismes islamiques » ont commencé à prendre de l’envergure. Ce terme, qui paraît oxymorique pour certains, est développé par la sociologue française Zahra Ali dans son ouvrage Féminismes Islamiques publié en 2012. L’idée développée par la sociologue est qu’il est possible d’associer féminisme et religion en montrant comment les mouvements féministes peuvent retourner les textes sacrés contre l’oppression patriacale et se battre pour les droits de la femme en conservant sa foi. L’éventuel paradoxe réside surtout dans une incompréhension globale du sujet due aux préjugés envers les deux notions : voir comme objet de soumission et d’enfermement les propos des textes sacrés que ces femmes prennent comme bases de leurs revendications. Leur objectif est donc de « montrer que le Coran est un texte fondamentalement égalitariste indûment mis au service d’un ordre patriarcal (…) entériné par une historiographie religieuse occultant le rôle des femmes dans la naissance et le développement de l’islam » et de « poser que l’islam distingue les principes fondamentaux de la révélation et de la croyance (shari’a), à portée égalitaire et à vocation universelle (ce qui justifie qu’on puisse être féministe et musulmane) ». Le monde assiste alors à un match où chaque répression entraîne une vague de rébellion reçue à son tour par la mise en place de nouvelles mesures. 

Les protestations après la mort de Mahsa Amini ont été reconnues par beaucoup comme la première révolte féministe de la région. Les Iraniennes conservent cependant une volonté de changement, un esprit révolutionnaire sans fin dans leur lutte pour leurs droits. Les grandes manifestations à la fin de l’année 2022, fortement combattues par le gouvernement, et les actes qui à première vue semblaient isolés prennent une ampleur collective dans plusieurs régions du pays. Les soulèvements sont la preuve d’une lutte galvanisée par un régime qui souhaite les étouffer. Les réseaux sociaux sont le grand canal de transmission de ces idées révolutionnaires où de nombreuses iraniennes se photographient et résistent, notamment en postant des photos tête nue, malgré les dangers qu’un tel acte provoque. Pour faire entendre leur voix, dans le pays comme à l’international, elles font front à coups de slogans anti-régimes tagués sur les murs, de refus de porter le voile, de chants critiques du gouvernement. Les voiles de précautions en cas de contrôle de police ont quitté leurs épaules et leurs voitures. 

Vouloir briser les chaînes du labyrinthe de Dédale.

Mythologie d’une liberté

Le grand symbole de la lutte féministe en Iran est le voile. Souvent vu en Occident comme un élément d’emprisonnement, le hijab désigne beaucoup plus que cette simple réduction pour de nombreuses femmes. Il s’agit d’une protection et d’une marque de la croyance qu’elles sont nombreuses à embrasser mais aussi d’une liberté dans son culte, un aspect auquel les Iraniennes n’ont pas le droit. Elles se battent contre cette obligation où les menaces et la soumission de force sont le cœur du problème. L’importance de l’aspect religieux est mise de côté au profit d’un symbole de pouvoir identitaire du régime des Ayatollahs. La religion est alors faite prétexte et l’utilisation de mythologies vise alors à cacher des buts politiques.

La polysémie du mot est mise à l’œuvre quand, à la manière d’Antigone figure emblématique de la mythologie grecque qui s’était battue pour ses convictions , ces femmes savent qu’elles risquent lourd pour retrouver leur liberté de choix. Leurs actes chocs d’embrasement de voile ou de coupe de cheveux ne sont qu’un moyen de résister contre cette atteinte à la liberté. La lutte féministe n’est alors pas uniquement anti-obligation du port du voile, elle est anti-répression, anti-contrôle du corps et anti-soumission face à des idéaux extrémistes. C’est l’idée que tentent de transmettre certains mouvements comme « Femmes, Vie, Liberté », un slogan politique qui scande une modernisation des mentalités iraniennes et un combat pour les droits. Un régime liberticide qui, dès 1979, soulevait questionnements et désaccords dans ses menaces de suppression d’une grande partie des droits obtenus par les femmes. Le voile qui était alors vu comme une protection, par le resserrement de mesures strictes, est alors, par son obligation, une source d’enfermement et de mise à l’écart. 

Les mythes peuvent être prisonniers de certaines représentations et néfastes au développement positif des sociétés. Le régime iranien en regorge et les utilise au quotidien, qu’il s’agisse du gouvernement ou des mouvements de révolte. La situation iranienne est telle que si les manifestations n’avaient pas éclaté face à la question féministe, ces soulèvements auraient été liés aux massacres écologiques, à l’explosion du coût de la vie ou encore à la situation économique désastreuse dans laquelle le pays se plonge en favorisant « l’apartheid de genre », terme utilisé par l’ONU. Seulement, les mouvements de féminismes islamiques se battent contre l’idée de faire passer croyances pour convictions universelles et contre le manque de choix et d’autonomie. Un combat pour la liberté qui prend également, bien que différemment, place en Turquie où le président Erdogan a réintroduit en 2021 le débat sur la garantie de choix du port du voile dans la fonction publique, les écoles et les universités, que la laïcité de la Constitution de 1982 ne permettait pas. 

 

Hana Goudjil

Illustration : Mila Ferraris 

Laisser un commentaire