L’héritage chimique des étoiles massives

par Maïmouna Taillandier

 

Californie, en 1957, l’équipe d’Eleanor Margaret Burbidge publie Synthesis of the Elements in Stars, un article fondateur en physique stellaire présentant notamment la théorie de la nucléosynthèse des étoiles. Jugé révolutionnaire, à une époque où beaucoup considèrent le Big Bang comme étant à l’origine de tous les éléments chimiques du tableau de Mendeleïev, l’article rencontre un franc succès et est surnommé affectueusement B2FH, portant les initiales de ses auteurs.(1) Mais en quoi consiste-t-il?

Concrètement, la nucléosynthèse stellaire désigne tous les processus de formation des noyaux d’atomes au sein des étoiles, de leur naissance jusqu’à leur mort. Cependant, toutes les étoiles ne suivent pas la même évolution. Celle-ci dépend essentiellement de la masse en jeu au départ, obtenue au moment de leur naissance dans les nébuleuses.(2) Par exemple, le fait que les étoiles très massives soient aussi très énergétiques les pousse à consommer très rapidement leur carburant principal – l’hydrogène – par le biais de réactions nucléaires et à avoir une vie beaucoup plus courte qu’une étoile de plus faible masse ! 

Cycle de vie d’une étoile et de formation de nouveaux éléments

Les étoiles naissent de l’effondrement de nuages – des nébuleuses – composés de poussières et de gaz (essentiellement en hydrogène) sous l’effet de la gravité. C’est la réaction de fusion des atomes d’hydrogène en hélium, dans le noyau de l’étoile, qui va contrebalancer l’effondrement gravitationnel et donc permettre à l’étoile d’atteindre une certaine stabilité.

Cependant, au bout d’un certain temps(3), les réserves en hydrogène s’épuisent. A ce moment-là, le cœur de l’étoile devient instable et se contracte. Les couches externes de l’étoile se dilatent , ce qui a pour conséquence de la refroidir. En apparence, l’étoile a gonflé et rougi dû à la baisse de température : l’étoile est alors entrée dans sa phase de géante rouge. Comme il n’y a plus d’hydrogène à fusionner, c’est au tour de l’hélium  qui permet de former du carbone, élément essentiel à l’apparition de la vie sur Terre !

Jusqu’ici tout va bien, mais la suite de l’histoire stellaire diffère largement selon la masse de l’étoile considérée. En effet, si l’étoile possède moins de huit fois la masse du Soleil, le noyau de l’étoile se contracte jusqu’à former une naine blanche, tandis que l’expulsion de ses couches externes forment une jolie nébuleuse planétaire. ( Fig 1)

Au-delà de 8 fois la masse du Soleil, l’alternance de contractions et de périodes de stabilité continue, et pouvant aller jusqu’à la création du fer (Fe). C’est alors que l’étoile rencontre un problème de taille : l’énergie nécessaire pour lal fusion du fer est supérieure à l’énergie dégagée lors de ce processus ! Concrètement, cela signifie que l’étoile ne peut plus fusionner de noyaux d’atomes pour contrebalancer les effets de la gravité. Alors, l’étoile s’écroule sous l’effet de sa propre masse et implose en supernova, une fin tout aussi spectaculaire que violente. 

Au moment où l’étoile s’effondre brusquement sur elle-même, les atomes de fer capturent des neutrons isolés, issus de la fusion entre électrons/protons, et créent grâce à la radioactivité des éléments bien plus lourds que le fer : il s’agit de la nucléosynthèse explosive. La supernova expulse ensuite les couches externes de l’étoile, enrichissant ainsi le milieu interstellaire et intergalactique en une multitude d’éléments chimiques. Finalement le cœur de l’étoile s’effondre une dernière fois pour former un trou noir ou une étoile à neutrons, selon la masse initiale de l’étoile. 

Petite parenthèse sur le diagramme de Hertzsprung-Russell

On peut retrouver une classification des étoiles dans ce qu’on appelle le diagramme de Hertzsprung-Russell (ou plus simplement diagramme H-R), portant le nom des deux astronomes qui l’ont développé entre 1909 et 1914. Les étoiles sont placées sur le diagramme en fonction de leur luminosité et de leur température mesurée au niveau de leur surface (Fig 2)

L’étude d’un diagramme comme celui-ci a conduit à la construction de la théorie de l’évolution  stellaire évoquée précédemment. On y trouve la séquence principale, zone du diagramme où  l’étoile consomme son hydrogène au cœur – la plupart des étoiles passent 90% de leur vie à ce stade. Ensuite, plusieurs évolutions sont possibles, comme devenir des  géantes rouges et finalement des naines blanches (c’est le sort qui est réservé au Soleil par exemple). En regardant le diagramme de plus près, on remarque que certaines parties sont beaucoup moins peuplées que d’autres. Ceci peut s’expliquer par l’instabilité des étoiles au moment d’atteindre certains stades évolutifs, ainsi que la difficulté de détections pour celles qui sont en fin de vie, comme les naines blanches. 

Le pourquoi les étoiles massives sont vraiment géniales

Même si des étoiles moins massives peuvent s’associer à d’autres étoiles moyennes pour fusionner et aussi exploser en supernovæ, le privilège d’atteindre cette fin sans l’aide d’un compagnon stellaire reste attribué aux étoiles massives. Comme nous l’avons évoqué précédemment, c’est grâce à l’énergie monumentale dégagée par la supernova que pas moins d’une soixantaine d’éléments plus lourds que le fer peuvent être créés. C’est notamment cette explosion qui s’occupe de remplir les cases vides du tableau périodique des éléments chimiques, en passant par le mercure présent dans nos thermomètres, au tungstène de nos ampoules, ou encore de l’argent de nos petites cuillères. 

Toutefois la supernova n’en reste pas là, puisque c’est aussi elle qui se charge d’éparpiller tous ces nouveaux noyaux d’atomes aux quatre coins du milieu interstellaire (4), environnement bien moins chaud et plus calme qu’au cœur des étoiles. Lorsque les poussières et le gaz s’agglomèrent pour former les premiers grumeaux et constituer un système solaire(d’abord la naissance d’une proto-étoile, puis autour d’elle des planétésimaux dans un disque proto-planétaire). La diversité apportée par la mort violente des étoiles massives permet donc la montée en complexité de la composition chimique de l’Univers : certaines de ces nouvelles molécules créées ont pu arriver  sur Terre et y engendrer l’apparition de la vie. Par conséquent, sans étoiles massives, il n’y aura jamais pu avoir d’êtres humains qui mangent des churros en écoutant Buena Vista Social Club. 

Les questionnements autour de l’or et du plomb

Dans la dernière décennie, l’interférométrie gravitationnelle(5) a permis de nouvelles et inédites observations, apportant leur lot de données essentielles pour la compréhension du cycle stellaire. En particulier, les phénomènes physiques associés à la coalescence de deux étoiles à neutrons(6), détectée pour la première fois par la collaboration internationale LIGO–Virgo en 2017 : la kilonova.  Plusieurs modèles tendent à suggérer que cette évolution en un système de deux étoiles à neutrons aurait un rôle important à jouer dans la formation des éléments les plus lourds, dont l’or et le plomb.

Technetium 99 : Un problème résolu par la théorie de la nucléosynthèse stellaire

Revenons un instant à l’époque de Margaret Burbidge où il était encore  considéré que les éléments chimiques du tableau de Mendeleïv étaient tous créés à l’issue du Big Bang. En 1952, des scientifiques découvrent la présence de technétium dans certaines étoiles. Il s’agit d’un élément radioactif (i.e. instable) qui se désintègre au bout d’un certain temps,  en quelques millions d’années. Or le Big Bang est vieux de plusieurs milliards d’années, donc si le technétium avait été créé au moment du Big Bang, il aurait déjà disparu au moment des observations… La théorie de la nucléosynthèse stellaire détaillée dans l’article B2FH intervient alors : le technétium n’a donc pas été créé pendant le Big Bang, mais plutôt, vous vous en doutez maintenant, au sein même des étoiles !

SOURCES 

Yaël Nazé – L’astronomie au féminin  

Synthesis of The Elements in Stars – E. Margaret Burbidge, G.R. Burbidge, William A. Fowler and  F. Hoyle 

https://lejournal.cnrs.fr/articles/etoiles-a-neutrons-une-fusion-qui-vaut-de-lor

https://chandra.harvard.edu/edu/formal/variable_stars/bg_info.html

http://lastronomieselaraconte.fr/index.php 

https://www.nasa.gov/goddard 

https://www.schoolsobservatory.org/ 

https://www.cea.fr/comprendre/Pages/matiere-et-univers.aspx https://esahubble.org/

 

1 Les auteurs sont E. Margaret Burbidge, G.R. Burbidge, William A. Fowler, et F. Hoyle.
2 Une nébuleuse désigne un nuage de gaz et de poussières interstellaires, surnommé dans le langage courant “pouponnière d’étoiles”. Elle peut être engendrée par le processus de nébuleuse planétaire quand une étoile au stade de géante rouge perd de sa masse pour devenir une naine blanche, ou bien par une supernova quand une étoile plus massive explose après le stade de supergéante rouge.
3 Allant de 10 millions d’années pour les étoiles les plus massives, à 10 milliards d’années pour les étoiles moyennes comme le Soleil.
4 Correspond à la matière (gaz et poussières) entre les galaxies, dans l’Univers.
5 C’est une instrumentation optique, basée sur le recombinaison de faisceaux lasers, qui permet de détecter les ondes gravitationnelles. Il en existe à l’heure actuelle trois dans le monde (LIGO, Virgo et KAGRA).
6 Une étoile à neutrons est le reste de l’étoile massive après son explosion en supernova.

 

 

 

Fig 1 :La nébuleuse planétaire NGC 2392 prise par l’imageur WFPC2 du télescope spatial Hubble en 2000. Crédit : Andrew Fruchter et al./HST/NASA 

 

Fig 2 : Diagramme H-R où les étoiles sont placées en fonction de leur luminosité (apparente et absolue), leur température de surface, leur classe spectrale. Crédit : Harvard

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