L’héritage du Général dans le paysage politique contemporain

par Jehan SAVINIEN

« Je suis gaulliste et européen », aime proclamer Michel Barnier, candidat au congrès de la droite. Il ne serait pas charitable de notre part de nous appesantir davantage sur le caractère un brin contradictoire de cette affirmation. Cependant, elle a la vertu de résumer en substance ce que nous allons développer ici.  

De nos jours, jamais on n’a vu autant de gaullistes. Il y en a pour tous les goûts du spectre politique. Vous êtes plutôt de la droite traditionnelle : tournez-vous vers Valérie Pécresse « Le gaullisme, pour nous, c’est une boussole » ou bien chez Xavier Bertrand le « gaulliste social ». Vous êtes plus tourné vers la droite radicale : Marine Le Pen assume une « continuité ». Vous êtes plutôt libéral : réécoutez Macron déclarer : « je vous ai compris, et je vous aime ». Vous vous êtes laissé tenter par une pointe de marxisme ? Même Jean-Luc Mélenchon en personne se permet de dire : « Je m’identifie à la volonté gaullienne, [..] d’une France non-alignée ».

Cette éclosion de gaullistes convaincus, qui fleurissent régulièrement quand viennent les prémices du solstice politique qu’est l’élection présidentielle, nous interroge. Est-ce-là une simple posture commerciale, ou la preuve d’un attachement universel aux idées du Général ? Pour le savoir, nous allons voir la survivance dans les programmes de deux grandes orientations proprement gaulliennes :  la politique de la souveraineté et la « Troisième voie » économique. 

La politique étrangère de l’Homme du 18 juin se caractérise par la sauvegarde de la souveraineté et de l’indépendance nationale. Loin d’être particulièrement originale, cette vision pourrait même être qualifiée de politique traditionnelle de la France, qui au cours de son Histoire a toujours affirmé son indépendance notamment face aux velléités impériales, allemandes ou espagnoles. Cette doctrine est à ce point banale qu’elle fut même partagée en grande partie par un de ses adversaires les plus farouches, François Mitterrand, au point que l’on qualifie parfois cette position de « gaullo-mitterrandisme ». Pourtant, elle est très loin de faire l’unanimité dans le spectre politique actuel. 

Chez les partis de droite, et chez les Libéraux, cette idée est depuis longtemps battue en brèche. Sans être officiellement abandonnée, selon le vieil adage du cardinal de Retz, « on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens », elle a disparu de facto après le mandat de Nicolas Sarkozy. Rejoignant le commandement intégré de l’OTAN, et faisant avaliser par un Congrès le Traité de Lisbonne en 2007, il a de jure transféré une part significative de la souveraineté intérieure aux institutions européennes et de la politique étrangère au grand frère américain. Depuis lors, la défense de la souveraineté nationale prend une place secondaire dans les discours et les idées de la droite traditionnelle, si elle n’est pas directement suspectée de nationalisme. On préféra alors défendre une « souveraineté européenne », dans des domaines comme le numérique ou la guerre économique.

Étonnement, l’idée « souverainiste » est significativement plus développée chez les successeurs des adversaires historiques du Général. Du côté de la droite radicale, la position du Rassemblement national a oscillé entre scepticisme et défiance envers la construction européenne. De l’autre côté du cercle politique, Monsieur Mélenchon a toujours affirmé une position rigoureusement anti-atlantiste. 

La pensée économique du premier résistant de France a toujours fait l’objet d’interprétations des plus diverses. Pourtant la lecture de ses Mémoires d’Espoir, ne laisse pas beaucoup de doute sur une double condamnation. Celle du Capitalisme d’une part, dont les excès liés à sa dérégulation sont une « infirmité morale », et celle du Communisme d’autre part, qui « s’il empêche l’exploitation des hommes par d’autres hommes, comporte une tyrannie odieuse imposée ». C’est sur ce constat même que le gouvernement du Général de Gaulle imposera la participation (principe imposant la redistribution d’une part des revenus de l’entreprise aux employés) en 1967, et mènera une politique économique relativement dirigiste. 

Qui oserait dire que la droite et le centre français mènent une politique économique un tant soit peu dirigiste ? Prenons un exemple parmi d’autres. Valérie Pécresse, candidate LR, se vante publiquement d’être « 1/3 Thatcher, 2/3 Merkel », c’est-à-dire en somme, 100% néo-libéral.  

Les héritiers des anciens adversaires, qu’ils soient de gauche ou de la droite radicale, eux, font de la lutte contre un libéralisme débridé un fonds de commerce. Cette critique, souvent associée à la critique du mondialisme, se retrouve aussi bien dans les propos de Yannick Jadot, « le libéralisme n’est pas un projet de civilisation », que d’Éric Zemmour, qui traite le néolibéralisme de « socialisme retourné ».

Ainsi, à travers ces deux exemples, on peut affirmer qu’il existe une décorrélation entre l’utilisation de l’image du Général de Gaulle et la défense de ses idées

En effet, si tout le monde revendique plus ou moins l’image du premier président de la Vème République, c’est que l’œuvre de celui-ci est à ce point protéiforme, que tout un chacun, selon sa culture politique, peut en retenir une portion plus ou moins grande. La continuité historique entre les partis de droite, de l’UDF jusqu’aux LR, permet en sus de revendiquer directement une paternité pour la droite de gouvernement. 

Mais cet attachement, que l’on soupçonne un brin électoraliste, n’est pas un attachement aux idées. De fait, ce sont chez ceux qui n’appartiennent pas à la tradition gaulliste, voir qui la rejettent ou la rejetaient ouvertement (comme la gauche marxisante ou la droite radicale), que l’on trouve aujourd’hui le plus une conception proche de la pensée du Général, du fait de curieuses vicissitudes de la pensée politique. 

Il apparaît donc comme nécessaire que les hommes politiques qui se réclament du gaullisme fassent preuve de transparence sur ce qu’ils retiennent de ce programme. Sinon, c’est prendre le risque que la démocratie élise un président pour des idées qui ne sont pas les siennes. 

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