Edito du numéro 43 « Nomades »
Bureaux flexibles, digitaux nomades, étudiants délocalisés en raison des affres de Parcoursup ou par un désir d’évasion, travailleurs détachés, migrants trans ou intra nationaux : tous nomades ?
Peut-être bien. Ce nouvel idéal qui prend son essor traverse les discours contemporains.
Mais au fond, qu’est-ce-que le nomadisme ? Faut-il le comprendre au sens littéral ou bien au sens figuré ? Sauter d’un train à l’autre pour plonger dans le bain d’un lieu à l’autre comme si Berlin, Paris et la Creuse partageaient les mêmes eaux : le littéral est épuisant.
Quant au figuré, prenez Deleuze : non content de mobiliser les nomades comme des réalités socio-politiques mettant à mal l’organisation centralisée d’un État, il s’est amusé à en faire une manière de penser glissant sur les lignes de fuite de son plan d’immanence…
Pas sûr de trouver là la substance de cet idéal qui anime une jeunesse toujours plus avide de fluidité… et d’absence d’attache ? Tout semble l’indiquer : gare à celui qui viendrait troubler cette fête de la mobilité permanente. L’ennemi à abattre est tout indiqué : la “sédentarité”.
Loin d’être un idéal moteur, le nomadisme est en réalité bien souvent la seule issue pour ceux à qui l’on a enlevé cette possibilité de sédentarité. Des migrants contraints à l’exil aux étudiants délocalisés, le nomadisme s’exerce là où les conditions de vie minimales s’éclipsent. Avoir un toit, de quoi se nourrir et subvenir aux désirs minimaux d’une existence, c’est ce qui fait défaut aux nomades contemporains.
Combien d’étudiants mal-logés voire pas logés à Paris ? Combien de nomadismes forcés dans un contexte de baisse des APL, d’augmentation toujours croissante du coût de la vie pour les étudiants ? Et si l’essence frelatée du nomadisme, au-delà du littéral et du figuré, c’était la précarité ?
Une précarité qui n’est pas que matérielle : entre éco-anxiété et incertitude du futur, les étudiants voient le sens des voies qu’ils avaient choisies flancher. Un uppercut en slow motion qui finira peut-être par achever la jeunesse covidéenne.
Si le nomadisme rime mal avec précarité, peut-être devrait-il se versifier différemment. C’est pourquoi l’équipe du journal a choisi ce thème, s’inscrivant également dans la transition entre une ancienne et une nouvelle équipe.
Avec ses caricatures, fictions littéraires et ses articles d’idées, le journal s’inscrit à contre-courant de la tendance à la consommation de l’information pour tailler une part belle au temps long de la maturation et de l’impression.
En tant que laboratoire journalistique des idées des étudiants de toutes les universités de Paris, La Gazelle possède la circulation des idées dans son encre-même. Une encre qui gicle, lors de distributions à la criée au sein des différents campus et qui réfléchit l’évidence, dans un travail intellectuel critique et collectif. Un journal nomade ? Peut-être. Mais alors au sens où il ne cherche pas à l’être.