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De l’exil à l’asile : un périple fait de dilemmes

Les migrants sont confrontés, en s’exilant de leur pays d’origine, à un parcours du combattant. Avant d’atteindre l’asile tant recherché, la route est longue et de multiples possibilités se proposent, sans aucune garantie de pouvoir arriver à bon port.  

 

Un article publié dans l’édition 41 du journal La Gazelle

 

La première hésitation apparaît avec l’âge de raison : y a-t-il un avenir ici ? Dans les Pays les Moins Avancés (PMA), dès que le concept de futur est assimilé, la question peut se poser. À l’exception de l’Afghanistan et de certains pays d’Asie du Sud-Est, on considère que les PMA sont situés en Afrique de l’Ouest, au Sahel, dans la Corne de l’Afrique et dans la région des Grands Lacs. Ce sont des pays où les gens qui ont un avenir l’ont construit ailleurs, pour la plupart. Les gouvernants ont fait leurs études en Europe, les dirigeants d’entreprise ont fait leurs classes aux Etats-Unis ou dans les pays du Golfe et les retraites dorées sont domiciliées dans des paradis fiscaux. Ajoutez à cela quelques frontières dessinées à la serpe, sources intarissables de conflits pour le contrôle d’institutions corrompues, et l’on comprend aisément pourquoi les campagnes occidentales de dissuasion à la migration n’ont pas de quoi convaincre. Inutile d’essayer de retenir quelqu’un qui craint pour sa vie quotidiennement en essayant de le convaincre de la viabilité économique de son propre pays.

 

Les entrées du labyrinthe européen

 

Lorsqu’elle lance en Afrique son opération de communication « Migrants conscients », l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) semble plutôt agir contre ces migrations. On y répète que les pays visés doivent se développer de l’intérieur, que le chemin vers l’Europe est laborieux et que l’accueil n’est pas chaleureux. 70 % à 80 % des Africains choisissant le chemin de l’exil n’ont pas besoin de ce genre de leçons. C’est le pourcentage, stable depuis 1990, de ceux qui cherchent directement refuge dans des pays voisins déjà débordés. En finançant de telles opérations de contrôle et de dissuasion des migrations, le Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées, malgré son intitulé pompeux, semble beaucoup plus enclin à agir sur les conséquences que sur les causes de l’émigration. Un budget dérisoire égal à 1,25 % de celui de l’État français ne peut suffire à effacer des centaines d’années de sous-développement et d’exploitation sans mesure.

 

Une fois acté le besoin de s’exiler vers le Vieux Continent, l’hésitation se porte sur le chemin à prendre : les routes sont multiples et chacune possède son lot de dangers. Depuis que l’Algérie a bordé entièrement ses frontières méridionales de murs de sable s’élevant de 2 à 5 mètres, il est devenu compliqué de se rendre sur les côtes du Maghreb pour essayer d’atteindre l’Espagne sur une embarcation. Il est maintenant plus plausible de prendre le large en direction des îles Canaries depuis la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, voire beaucoup plus loin. En novembre dernier, trois hommes en provenance de Lagos au Nigeria ont été hospitalisés sur l’île de Gran Canaria après avoir survécu onze jours sur le gouvernail d’un cargo, à la merci des vagues et du froid.

Il existe un autre passage, moins houleux mais qui entretient une très mauvaise réputation : le chaos libyen. Depuis la médiatisation en 2018 d’innombrables cas de trafic d’êtres humains et d’esclavage sexuel, l’Union Européenne (UE) fait des pieds et des mains pour montrer son implication dans la sécurité des migrants sur place. Mais, parallèlement, elle continue à subventionner grassement les garde-côtes libyens (environ 100 millions d’euros depuis 2017), accusés par de nombreuses ONG d’entraver leurs opérations de sauvetage en mer. Les Nations unies elles-mêmes considèrent que cette force constituée d’anciens miliciens verse dans le trafic d’êtres humains. C’est pour ces raisons qu’au début de l’année 2022 l’Allemagne a déclaré qu’elle se retirait du programme dédié à leur formation. Concrètement, les rares naufragés sauvés par ces garde-côtes sont immédiatement conduits dans des « Tribunaux pour migrants illégaux », tous dirigés par les multiples milices locales qui font régner le désordre dans le pays depuis la chute du régime en 2011. Pour espérer être libérés, une rançon leur est exigée. Pendant ce temps, l’Europe paye des avions retour à ceux qui se résolvent à fuir la Libye et se targue de la baisse des tentatives de traversée de la Méditerranée.

Reste la route de la soie à l’Est, jalousement gardée par le dirigeant turc Recep Tayyip Erdoğan. Cette dernière offre également à l’UE la possibilité d’externaliser ses frontières. Sous couvert de « mesures extraordinaires, nécessaires pour mettre un terme aux souffrances humaines et pour rétablir l’ordre public », les migrants dont la demande d’asile est rejetée en Grèce sont directement renvoyés en Turquie. Mais lorsque début 2020 le chef d’Etat prend ombrage des critiques formulées par les dirigeants occidentaux sur sa gestion de la question kurde, il décide d’ouvrir grand ses frontières et de précipiter des milliers de migrants Syriens, Afghans, Nigérians et Zaïrois aux portes terrestres et maritimes de la Grèce. L’UE tente de pallier la situation en débloquant 700 millions d’euros pour aider la Grèce à faire face. Six mois plus tard, le Camp Moria, logeant près de 13 000 réfugiés sur l’île de Lesbos, part en fumée dans un contexte de fortes tensions dû à une attente interminable et aux restrictions liées à la crise du COVID.

 

Vie et mort de l’espace Schengen

 

Lorsqu’elle se retrouve à l’avant-poste de l’Europe pendant la crise migratoire de 2015, la Grèce ne s’est toujours pas relevée de la crise financière qui la tourmente depuis 2008. Elle ne parvient pas à gérer l’accueil ni le contrôle de ces nombreux arrivants, à tel point que les pays du Nord de l’Europe considèrent son système d’asile comme défaillant et ne « dublinent » plus vers la Grèce. « Dubliner » est un néologisme pour parler de l’application du règlement de Dublin. Ce règlement, adopté pour la première fois en 2003, édicte que toute personne arrivant dans l’UE ne peut faire qu’une seule demande d’asile, et ce dans le premier pays où elle est enregistrée. Un nouveau choix se pose donc à ces voyageurs contraints : rentrer dans le rang et faire sa demande dans le pays d’arrivée – qui est rarement le plus économiquement attrayant (Espagne, Italie, Balkans, Grèce, Bulgarie) –, ou persister dans la clandestinité jusqu’à atteindre un pays plus porteur d’espoir, quitte à s’y installer illégalement.

En 2015, l’Allemagne se pose en cheffe de file de l’accueil des réfugiés du conflit syrien en Europe avec le slogan « Wir schaffen es » (« On va y arriver »). Entre 2015 et 2016, plus de 1,2 million de demandes d’asiles y sont déposées et au moins 400 000 sont acceptées. Malgré les dissensions au sein du pays sur le sujet, l’Allemagne est restée jusqu’à aujourd’hui le premier pays d’accueil européen, toutes catégories confondues. C’est dans l’optique de déposer leur demande en Allemagne ou en Autriche que de nombreux candidats s’élancent clandestinement sur les routes des Balkans. Là encore, l’UE a récemment concédé 200 millions d’euros pour enjoindre les pays de la région à mieux contrôler et réprimer le passage illégal des frontières, avec l’aide de l’agence FRONTEX (garde-frontières et garde-côtes de l’UE). En général, tous les pays européens ont durci le contrôle de leurs frontières et encore davantage depuis la vague d’attentats de 2015-2016. De fait, pour tous ceux susceptibles d’être victimes de contrôles au faciès, l’espace « Schengen est mort » – pour reprendre une formule étonnamment éclairée de M. Sarkozy.

Malgré ce que peuvent en dire une partie des personnalités politiques européennes, les spécialistes s’accordent à penser que les politiques migratoires des pays d’accueil n’ont qu’un impact limité sur les choix d’installation. On peut citer le cas de l’Angleterre et de sa politique d’asile stricte. Le gouvernement britannique essaye notamment, depuis le printemps 2022, de légaliser un partenariat avec le Rwanda (faisant également partie des PMA) pour y expulser les demandeurs d’asile illégalement entrés sur le territoire. Malgré ce genre d’opérations de dissuasion, l’Angleterre continue de posséder une forte attractivité pour les migrants. La facilité à y travailler sans papiers et la langue qui y est parlée permet souvent à ceux qui ont pu franchir la Manche de se construire un avenir viable. Devenant par là même de potentiels relais et donc un point supplémentaire d’attractivité pour ceux qui n’ont pas encore fait le trajet. 

 

Réfugié de droit, réfugié de fait

 

Mais la médiatisation en novembre dernier de la légèreté meurtrière avec laquelle les services de secours français ont traité le naufrage de 27 personnes dans la Manche rappelle que l’accès à son territoire est l’un des plus périlleux. Et que ni le cynisme des passeurs, ni celui des autorités n’apaisent la situation. Après avoir traversé la moitié du globe, une ou plusieurs mers et un bon nombre de frontières pour arriver sur le Vieux Continent, cela vaut-il le coup de mettre à nouveau sa vie entre les mains de passeurs pour qui les pertes humaines sont partie intégrante d’un modèle économique rodé ?

Qu’importe à quel point on leur impute la responsabilité des conditions déplorables de transit, les passeurs existeront tant que les réglementations de la circulation internationale suscitent une demande clandestine. En France, les critères d’octroi du statut de réfugié par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) sont si spécifiques que les passeurs se sont diversifiés dans la vente des faux récits d’exil. Sans preuves matérielles évidentes, la personnalité ou les orientations politiques de l’agent qui prend la déposition peut fortement influer sur le résultat de la demande d’asile. À tel point que les matricules des agents de l’OFPRA à éviter circulent dans les Centre de Rétention Administrative (CRA).

 

Selon la convention de Genève de 1951, le statut de réfugié s’applique à toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Selon sa politique étrangère et ses valeurs, chacun des pays signataires est libre de s’appuyer sur sa propre conception juridique de ce statut pour répondre a posteriori à cette question : la situation de départ du demandeur d’asile justifiait-elle l’exil ? Quand on reconstitue le périple, on se doute qu’il y a plus qu’un petit caprice à soulager.

 

André Labarthe

Illustration : Sophie Morales

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