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Le télégramme Zimmermann, secret, silence et incertitudes diplomatiques

Le télégramme Zimmermann découvert par les services secrets britanniques en janvier 1917 a eu un impact décisif sur l’issue de la guerre, permettant d’influencer les États-Unis à entrer en guerre au côté des Alliés. Or de nombreuses incertitudes demeurent sur son usage car il compromet les services secrets. 

 

Janvier 1917. La guerre entre les puissances de l’Axe et les Alliés fait rage. Alors que le conflit s’enlise et que les belligérants se trouvent dans une impasse, la Grande-Bretagne a conscience que la guerre ne peut être remportée que si les États-Unis interviennent dans la guerre. Mais le président américain Woodrow Wilson est déterminé à rester neutre dans ce conflit d’envergure, étant réélu sur le slogan « he kept us out of war ». C’est le 16 janvier 1917 qu’advient le catalyseur aux répercussions internationales : le télégramme Zimmermann. Arthur Zimmermann, ministre allemand des Affaires étrangères, adresse à son homologue mexicain dans ce télégramme secret l’intention de l’Empire allemand de reprendre la guerre sous-marine à outrance. Zimmermann propose également une alliance au Mexique où celui-ci entrerait en guerre contre les États-Unis et, en cas de victoire, l’annexion du Sud des États-Unis : le Texas, le Nouveau-Mexique et l’Arizona, qui avaient été perdus lors de la guerre de 1846-1848. 

L’interception de ce télégramme diplomatique par la Marine britannique est considérée par les historiens comme le plus grand coup d’éclat des services du renseignement britannique durant la Grande Guerre. Les services secrets ont bien conscience de l’opportunité inespérée qu’ils détiennent, avec cette preuve incriminante prouvant les intentions belliqueuses des Allemands envers les États-Unis : les Britanniques pourraient faire basculer le conflit. Or le télégramme Zimmermann a suscité un moment de grande incertitude  : faut-il ou non divulguer ce télégramme au gouvernement américain et, par conséquent, reconnaître qu’ils espionnent les communications de pays neutres tels que le Mexique et les États-Unis ? De surcroît, en partageant le contenu du télégramme, qui serait alors accessible à tous, la Grande-Bretagne serait contrainte de reconnaître qu’elle a réussi à déchiffrer les codes allemands, ce qui amènerait les services secrets à changer leurs codes alors que les Britanniques ont tout intérêt à continuer de pouvoir lire les messages allemands. Cette erreur s’était déjà produite en France, en septembre 1914, lorsque Clemenceau dans son journal, L’homme enchaîné, communique l’attentat commis à l’encontre de Guillaume II – en dépit de la loi d’indiscrétion de la presse – et conduit alors les services secrets à renouveler leur code. Comment les Britanniques réussissent-ils à informer le gouvernement états-unien du plan de l’Allemagne sans pour autant se compromettre ?

Les services de renseignement et la culture du secret pendant la Grande Guerre 

Si les services secrets et les renseignements ne permettent pas seuls de remporter une guerre ou de vaincre l’adversaire, ils peuvent toutefois faire pencher la balance et aider à remporter la victoire. Ici, c’est ce qu’incarne véritablement le télégramme Zimmermann, outil diplomatique aux répercussions incertaines. 

Pour saisir l’enjeu de ce télégramme, il nous faut nous intéresser au secret de l’interception et au déchiffrement. C’est même avant le début du conflit que les Britanniques ont rapidement dépêché un navire pour couper les cinq câbles transatlantiques allemands et les six câbles sous-marins reliant la Grande-Bretagne à l’Allemagne. Au début de la guerre, les anglo-saxons ont su exploiter les lignes de câbles outre-mer de pays neutres à travers lesquels l’Allemagne redirige ses communications : c’est ainsi que la Grande-Bretagne a pu commencer à collecter une quantité importante de renseignements. 

Par la suite, les casseurs de codes britanniques ont travaillé pour décrypter les codes de communication. En octobre 1914, Room 40 – ou le British Naval Intelligence – obtient par le biais de l’amirauté russe une copie du livre de codes de la marine allemande prélevé sur le corps d’un marin allemand noyé. Cette copie est complétée par celle du code diplomatique allemand qui a été volé dans les bagages d’un diplomate au Proche-Orient. Par ces divers procédés, les services secrets parviennent à déchiffrer une grande partie des messages émis par l’Empire allemand. 

Ces pratiques sous le sceau du secret sont accessibles à un petit monde d’initiés afin d’assurer l’efficacité de leurs missions. À l’époque, Room 40 est le secret le mieux gardé de l’Amirauté, les résultats de ce service ne sont connus que d’une poignée de gradés britanniques. Cette culture du secret a été la source de nombreuses incertitudes et tensions. Room 40 garde jalousement ses secrets, il ne communique pas à son homologue français les télégrammes allemands dans lesquels l’Allemagne tente d’impulser des soulèvements chez les tribus locales au Maroc français et en Algérie pour déclencher un nouveau front. Même après la Grande Guerre, le secret reste de mise sur les activités des services de renseignements alliés. Ironiquement, c’est une note sur le télégramme Zimmermann qui, pour la première fois, rompra le silence du secret en 1945. Cette culture omnipotente du secret explique la délicatesse de la situation dans laquelle se trouve le 17 janvier Room 40 lorsqu’elle est en possession d’un message qui peut faire l’effet d’une bombe diplomatique.

 

Une vague d’incertitudes diplomatiques et politiques  

Les Britanniques sont alors convaincus de détenir le secret qui va permettre aux États-Unis d’entrer en guerre au côté des Alliés, s’ils sont mis au courant. Or un dilemme diplomatique rend la tâche ardue. Pour éviter de révéler l’espionnage des envois de pays neutres et le déchiffrement des codes allemands, le capitaine Hall – le directeur du service de renseignement naval de 1914 à 1919 – trouve un moyen pour surmonter ces problèmes. Si la paraphrase semble la plus adéquate pour éviter d’éventer la source, Hall exige que le texte soit exactement celui qui a été envoyé par Zimmermann. C’est alors grâce à un espion que les Britanniques parviennent à se procurer un autre chiffrement de ce même télégramme, pour faire davantage croire à un acte d’espionnage qu’à une interception. Cette solution permet de mettre fin aux incertitudes diplomatiques et, par conséquent, d’enfin transmettre le télégramme au gouvernement américain.

Mais comment faire adhérer l’opinion publique à l’idée d’entrer en guerre alors même que le président Wilson s’était fait réélire en 1916 sur le principe de neutralité du pays, déclarant même que ce serait « un crime contre la civilisation » que de laisser entraîner les États-Unis dans la guerre ? L’incertitude conjoncturelle liée aux décisions d’un petit groupe et aux aléas de l’espionnage laisse place à une incertitude davantage structurelle, celle de la politique intérieure américaine et d’une tradition de non-intervention américaine dans les affaires européennes, dont les répercussions sont lourdes de conséquences et s’inscrivent dans la durée.

Publié le 1er mars 1917 dans la presse américaine, ce télégramme scandaleux adossé à la guerre sous-marine à outrance allemande galvanise l’opinion publique indignée, jusqu’alors neutraliste. Le télégramme est instrumentalisé afin de faire basculer l’opinion américaine. Zimmermann lui-même confirme l’authenticité du message. Quelques jours plus tard, le 6 mars 1917, le Président Wilson fait voter par le Congrès la déclaration officielle de guerre des États-Unis à l’Allemagne.

Ce télégramme, empreint de secrets et d’incertitudes, a fait basculer le destin de la Grande Guerre, en persuadant les États-Unis de rejoindre le conflit. Aujourd’hui encore, les révélations de renseignements structurent la diplomatie. En janvier 2022, les États-Unis ont, d’une part, tenté de mieux préparer ses alliés face à l’invasion russe en Ukraine et, d’autre part, ont voulu augmenter le coût politique de ce dernier en le mettant sous le feu des projecteurs. Mais l’effet politique escompté a été en réalité peu déterminant pour le gouvernement français, qui n’a peut-être pas fait confiance aux renseignements américains, surtout au regard des mensonges diffusés en 2003 concernant la guerre en Irak.

 

Mélina Tornor

Article publié dans le numéro 41 de La Gazelle « Incertitudes »

Cet article a 2 commentaires

  1. Catacombes_du_14

    Trop bien l’article, j’ai appris plein de choses

    1. alexandrejadin

      Merci beaucoup !

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