L’Église de Jésus Christ des Saints des derniers jours, plus connue sous le nom d’Église mormone, pourrait s’avérer être un électorat crucial en vue de la victoire à l’élection présidentielle américaine de novembre. Il s’agit pourtant du groupe religieux le plus conservateur et le plus républicain du pays…
Considérés en France comme une secte, les mormons, qui revendiquent environ seize millions de membres dans le monde, dont six aux États-Unis, forment la quatrième Église du pays (après les catholiques, les baptistes du Sud et les baptistes). Ils croient en un plan de Salut pour les hommes, qui auraient, selon leur théologie, pour certains choisi de suivre Jésus Christ – donc d’adopter le mode de vie mormon : mariage plural, abstinence avant le mariage, rejet de la contraception, refus de certaines consommations comme l’alcool ou les sodas, exclusion des femmes des responsabilités extrafamiliales, etc. – tandis que d’autres auraient choisi Lucifer et seraient donc condamnés. Ils forment le groupe religieux le plus conservateur des États-Unis, plus de 70% d’entre eux s’identifiant comme républicains selon une étude du Pew Research Center de 2014 (devant différents groupes évangélistes le taux d’affiliation au parti républicain varie entre 57 et 64%). Mais leur pouvoir politique est traditionnellement relativement faible car ils sont très concentrés dans l’État de l’Utah où ils forment une large majorité de la population, plus de 60%.
Cependant, ils pourraient se révéler être un segment démographique clef dans l’élection présidentielle de novembre. Quinn Monson, professeur de sciences politiques à l’Université Brigham Young, la principale université mormone, déclarait en 2016 au sujet de Donald Trump que « son style personnel était incompatible avec l’éthos mormone de gentillesse. » Donald Trump, le businessman excentrique de New-York (l’incarnation du vice) est en effet très peu apprécié des mormons. S’ajoute à cela sa rhétorique anti-réfugiés désagréable aux mormons, eux-mêmes ayant fui les persécutions religieuses au XIXe siècle pour s’installer dans le Far West. Cette désaffection s’est traduite par un très mauvais score dans l’Utah (46%, contre 73% pour Mitt Romney en 2012 ou 62% pour John McCain en 2008), essentiellement dû à la candidature d’un mormon ancien officier de la CIA, Evan McMullinn, qui a obtenu 22% des voix dans cet État (contre 27% à Hillary Clinton). Mitt Romney, le candidat républicain à la présidence en 2012, venu du Massachusetts en Nouvelle Angleterre, lui-même mormon, a été élu Sénateur de l’Utah en 2018 et est devenu l’un des plus fervents critiques de Donald Trump au sein du parti républicain, devenant en février dernier le premier Sénateur à voter pour l’impeachment d’un président de son propre parti.
Depuis 2016 cependant, de l’eau a coulé sous les ponts. Trump a vertement défendu le droit de porter des armes (deuxième amendement) et s’est transformé en champion anti-avortement soutenant le mouvement Pro Life. Plus encore, il a nommé des centaines de juges très conservateurs dans tout le pays, dont deux à la Cour Suprême et la mort de Ruth Bader Ginsburg va encore lui offrir une occasion de regagner en popularité auprès de l’électorat religieux conservateur. Pourquoi est-ce que cela importerait, Trump étant assuré de recevoir les six voix de l’Utah au collège électoral (il n’y aura pas de candidat mormon cette année) ? La réponse se trouve dans deux États voisins : l’Arizona et le Nevada, deux swing States qui possèdent une minorité mormone assez importante. Le Nevada est l’un des trois États gagnés par Hillary Clinton que Donald Trump peut espérer conquérir cette année (avec le Minnesota et le New Hampshire). Tandis que l’Arizona sera l’un des États les plus décisifs dans la course à la Maison Blanche, Biden possédant une avance moyenne de 4 points dans les sondages dans cet État que les démocrates n’ont remporté qu’une seule fois depuis 1948 (en 1996) !
L’Arizona peut être divisée en trois zones : les régions rurales, radicalement républicaines, voire libertariennes, d’un côté, et les réserves indiennes ainsi que l’agglomération de Tucson à majorité hispanique, largement démocrates de l’autre. D’un poids démographique similaire, leurs votes s’équilibrent généralement et la victoire s’obtient dans une troisième zone, le comté de Maricopa, au centre de l’Arizona, qui englobe la ville de Phoenix et l’essentiel de sa banlieue et compte 4,5 millions d’habitants. La fuite de l’électorat féminin éduqué de banlieue du parti républicain et l’immigration massive venue du Mexique et de Californie ont radicalement transformé la démographie d’un comté que George W. Bush gagnait avec près de 180 000 voix d’avance sur John Kerry en 2004, contre seulement 40 000 voix d’avance pour Donald Trump face à Hillary Clinton en 2016. Deux ans plus tard, Kyrsten Sinema, élue Sénatrice de l’Arizona, devenait la première démocrate à remporter le comté de Maricopa depuis des décennies en battant la républicaine Martha McSally de 55 000 voix (avec une avance de 60 000 voix dans le comté de Maricopa, qui a donc décidé toute l’élection).
Si Trump veut l’emporter dans le comté de Maricopa, il aura besoin de mobiliser fortement l’électorat des quelque 400 000 mormons des banlieues de Phoenix, notamment dans les communes de Mesa et Gilbert. Témoignage de la difficulté de la tâche, en 2016, le représentant républicain de la 5e circonscription de l’Arizona (qui englobe les banlieues mormones), Andy Biggs, était réélu à 64%, alors que Trump n’emportait que 56% des voix dans sa circonscription. Une forte abstention des mormons de l’Arizona pourrait priver Donald Trump des voix nécessaires pour contrebalancer les évolutions démographiques favorables aux démocrates, donc d’une victoire dans le comté de Maricopa et en Arizona. Le Vice-Président Mike Pence était d’ailleurs en visite dans une congrégation mormone le 11 août dernier à Mesa, symbole de l’importance exceptionnelle de ce groupe généralement mis à l’écart des campagnes électorales nationales.
De manière plus surprenante, Joe Biden commence à courtiser l’électorat mormon, afin d’entamer la marge de Trump. Jeff Flake, Sénateur (mormon) de l’Arizona de 2000 à 2019 et Evan McMullinn, pourtant tous deux républicains, lui ont déjà apporté leur soutien de manière officielle. Mitt Romney, qui a déjà annoncé qu’il ne soutiendrait pas Donald Trump, devrait également franchir le Rubicon. Son nom est même mentionné par certains comme potentiel Secretary of State sous Biden…