Éric Dupond-Moretti : pas de répit pour la Macronie ?

Éric Dupond-Moretti : pas de répit pour la Macronie ?

Raphaël Vignaud

Article initialement paru dans le numéro 40 du journal – Décembre 2022

 

Le Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, est renvoyé devant la Cour de justice de la République pour prise illégale d’intérêts, soupçonné d’avoir utilisé les moyens de son ministère pour son compte. Retour sur cette situation politico-juridique ubuesque.

 

Le ministre de la Justice, en exercice, renvoyé devant la Cour de justice de la République (CJR) – seule instance compétente pour juger les actes commis par des ministres pendant l’exercice de leurs fonctions – ouvrira une nouvelle page dans l’histoire du droit de la Ve République. C’est la première fois qu’un ministre en exercice se présentera devant la CJR.

 

Pourquoi doit-il comparaître ? Tout remonte à ses débuts Place Vendôme, en juin 2020, lorsque le président de la République le nomme à la Chancellerie. Éric Dupond-Moretti lance trois enquêtes administratives à l’encontre de trois magistrats anti-corruption. Jusqu’ici, aucun problème ; seulement, les trois magistrats ont ceci en commun d’avoir eu affaire à l’avocat Dupond-Moretti, et non au ministre. On note des différends professionnels et personnels avec lesdits magistrats, ce qui pose un problème. Deux d’entre eux avaient épluché ses relevés téléphoniques dans l’affaire « Paul Bismuth » des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. L’autre est un juge d’instruction détaché à Monaco, qui avait mis en examen l’un de ses clients. Question se pose alors de savoir si ces enquêtes ont été initiées dans le but de se « venger » de ces magistrats. Si c’est avéré, cela poserait un lourd problème d’interférence de l’exécutif dans le pouvoir judiciaire. Mais nul besoin de s’alarmer ou de tirer quelques conclusions hâtives, l’instruction est toujours en cours et Dupond-Moretti présumé innocent.

 

Dans l’idée, purement hypothétique, d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement, un autre problème vient entacher le tableau : celui de la mise en examen. En effet, Éric Dupond-Moretti avait d’ores et déjà été mis en examen en juillet 2021, à la suite du dépôt de plainte de deux magistrats et de l’association anti-corruption AntiCor. Vous voyez où je veux en venir ? Retour en 1999. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’Économie, présente sa démission au Président de la République pour sa mise en examen dans l’affaire de la Mutuelle nationale des étudiants (MNEF) pour « faux et usage de faux ». Depuis, c’est une coutume, lorsqu’un ministre est mis en examen, il démissionne. Et qui de mieux qu’Édouard Philippe et qu’Emmanuel Macron pour le marteler ? M. Philippe affirmait ne voir « aucune raison de changer de règle » en 2017, et M. Macron d’ajouter pendant sa campagne de 2017 : qu’« un ministre doit quitter le gouvernement s’il est mis en examen, […] les privilèges n’ont que trop duré, nous voulons les mêmes règles pour tous. Nous voulons des dirigeants responsables, exemplaires, qui rendent des comptes ». Vous me répondrez que je suis de mauvaise foi, que cette règle n’est pas dans la Constitution, que c’est seulement une tradition… Je vous répondrai qu’une fois n’est pas coutume, mais que la coutume se respecte.

 

Là se pose notre dernier problème. Lorsque M. Dupond-Moretti comparaîtra devant la Cour de Justice de la République, il fera face au procureur général près la Cour de cassation, son accusateur principal. Vous allez grincer des dents. Le procureur général n’est autre que François Molins, qui prendra sa retraite en juin 2023. Qui est chargé de nommer son successeur ? Oui, le garde des Sceaux. Il sera donc en mesure de nommer son accusateur principal. Le porte-parole répond qu’Élisabeth Borne nommera le procureur général, mais rien de certain pour le moment.

Jusqu’ici, les avocats de M. Dupond-Moretti annoncent vouloir faire un pourvoi en cassation. Avec la majorité présidentielle, ils plaident la présomption d’innocence. Maintenu en poste, sa démission « n’est pas à l’ordre du jour » dit le garde des Sceaux. Interpellé par Jean Pierre Sueur, sénateur socialiste, demandant à la Première ministre de s’expliquer sur la situation devant le Sénat, le ministre de la Justice a répondu : « Élisabeth Guigou (ancienne ministre de la Justice et députée socialiste) a été chargée d’un travail sur la présomption d’innocence. L’impératif m’est interdit, naturellement, lorsque je m’adresse à vous, mais je vous invite à le lire. » Affaire à suivre, donc.

 

Raphaël Vignaud

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