Un article initialement paru dans le numéro 42 « Décrocher la Lune »
La Méditerranée est le théâtre sans spectateur d’une tragédie quotidienne : les migrations mortifères qui y ont lieu. En revenant sur les faits, cet article tente de montrer que l’incurie contemporaine résulte en partie d’une certaine faille juridique creusée à Lisbonne, en 2009.
« Aujourd’hui, il n’y a jamais eu autant de personnes vivant dans un autre pays que celui dans lequel elles sont nées » souligne l’Organisation des Nations unies (ONU) en s’appuyant sur le rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
L’Union européenne compte en 2022, 1,92 millions d’arrivées de migrants. Perçue comme un espace où Droits de l’Homme et Liberté sont au fondement, l’Europe, et plus précisément l’UE, représente L’éden pour nombre de populations cherchant à fuir la misère et la guerre.
La migration s’intègre dans une volonté d’améliorer ses conditions de vie, et l’intensification de ce phénomène est révélateur des conditions de vie des populations immigrantes. Dans un parcours migratoire, le statut de réfugié résulte d’une réponse positive à la demande d’asile. Les conditions pour remplir ce statut, offrant une couverture internationale, soulignent le caractère forcé de la migration. Par exemple, en France, est considéré comme réfugié celui qui a obtenu la protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
Toutefois, entre réseaux clandestins, exploitations et trafic d’êtres humains, le périple migratoire se révèle être un parcours long et difficile. Pour certains, plusieurs années s’écoulent avant de parvenir à la destination finale.
De plus, la cohésion des politiques migratoires entre celle de l’UE et celle de ses Etats membres se trouve rompue, notamment depuis 2015. La guerre en Syrie a renforcé les dispositions unilatérales et bilatérales au détriment de l’approche communautaire soutenue par l’UE et prévue par le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009. Les politiques nationales en matière migratoire, en inadéquation avec celle de l’Union européenne, sont alors source de tensions politiques.
Vers l’Europe : la traversée de tous les dangers
Considérée comme la route migratoire la plus dangereuse au monde, la Méditerranée centrale s’avère pourtant être la voie maritime la plus utilisée par ceux qui franchissent les frontières de l’UE. La traversée de la Méditerranée, mer incarnant la séparation entre deux mondes, s’effectue sur des embarcations de fortune. En empruntant cette route maritime, deux itinéraires ressortent : Libye-Italie et Turquie-Grèce. Les populations venues d’Afrique rejoignent l’Italie en gagnant d’abord la Libye, important lieu de transit situé à environ 350 kilomètres du territoire italien. Puis, les populations issues du Moyen Orient atteignent l’Europe par la Grèce, en passant par la Turquie. Quel que soit le trajet emprunté, le danger, par les différents risques qui pèsent, prédomine le voyage. Selon un rapport des Nations Unies, entre 2000 et 2017, 33 761 migrants ayant tenté la traversée de la Méditerranée sont portés disparus ou morts.
Avant de parvenir à traverser la Méditerranée, les migrants font affaire avec des passeurs. En échange d’une somme équivalente en moyenne à 3 500€, ces passeurs, faisant partie d’organisations criminelles, attribuent une place à bord d’embarcations, déjà surchargées. Les femmes et les jeunes filles sont d’autant plus exposées aux trafics d’êtres humains. Elles sont observées, surveillées, et traquées par des réseaux présents à toutes les étapes du voyage. En Europe ces femmes sont saisies et forcées à travailler dans la prostitution. Les sources manquent, témoignant d’une opacité de ces organisations souterraines.
Le photojournaliste Narciso Contreras révèle dans une enquête la condition de ces hommes, femmes et enfants. Par ses clichés, il met en lumière la réalité poignante des migrants arrivés en Libye, attendant de rejoindre l’Europe. Pour les ‘chanceux’, une traversée périlleuse attend. Pour les autres, cela peut se terminer en esclavage. Celui qui cherchait à fuir pour (re) trouver sa liberté en est dénué. La Libye, plaque tournante de l’immigration vers l’Europe, fait l’objet d’un important trafic : 3 millions de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile n’y seraient pas reconnus. Une coopération d’envergure organise le détournement de ces populations, regroupant tant des milices libyennes que des trafiquants africains et européens.
La politique migratoire : distorsion entre l’Union européenne et ses Etats membres
Toutefois, l’UE et ses États membres prennent une direction différente en matière de politique migratoire. Aussi, les Nations unies évoquent leur inquiétude face au durcissement des politiques migratoires.
L’Union européenne, par le traité de Lisbonne, met en avant sa volonté d’instituer une coopération politique en matière migratoire, entre ses Etats membres. Ainsi, dans les articles 79 et 80 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’UE souligne sa volonté d’instaurer une approche équilibrée d e l’immigration en encadrant la gestion de la migration légale, et en luttant contre la migration clandestine. Elle mentionne qu’il « relève de la compétence de l’Union de définir les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers entrant et résidant de manière légale sur le territoire d’un Etat membre, y compris aux fins du regroupement familial ». Les 27 entendent harmoniser par ce traité leurs politiques d’asile, en mettant l’accent sur la gestion des situations migratoires variées, sans toutefois nuire au principe de libre-circulation de Schengen.
Or les politiques intérieures des États membres en matière migratoire se montrent, notamment depuis 2015, en inadéquation avec les directives de l’Union. Dans le cas de la France, le projet de loi visant au contrôle de l’immigration présenté le 1er février 2023 en Conseil des ministres est révélateur de ce durcissement politique. Le projet de loi « pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », présenté par les ministres Gérald Darmanin, Éric Dupont-Moretti, et Olivier Dussopt, stipule la simplification des expulsions, une réforme du droit d’asile et la création d’un titre de séjour « métiers en tension ». Par ailleurs, le 28 février 2023, Gérald Darmanin s’est dit “favorable” à des amendements qui permettraient d’engager des « dispositions qui pourraient limiter le regroupement familial ». Ce projet visant à réformer la politique migratoire française témoigne de disparités avec les lignes directives de la politique de l’Union.
L’Union européenne, l’organisation régionale la plus avancée en matière de droit international, est, par ses valeurs de liberté, d’égalité, de démocratie, perçue comme une oasis par les populations pour lesquelles persécutions, guerres, conflits et chaos rythment le quotidien. La réalité de l’Europe est parfois source de désillusions. Aussi, avec le renforcement du contrôle de l’immigration par la politique intérieure de certains de ses Etats membres, l’UE se révèle moins accessible, se repliant et creusant davantage l’écart entre ces deux mondes. L’UE fait l’objet d’un idéal pour ces peuples désemparés et prêts à tout pour décrocher la lune. Dès lors, la distance géographique qui sépare ces deux mondes trouve un écho dans les désillusions ; la réalité ébranle un idéal devenu chimérique.
Elyse Béasse
Illustrations : Céèf