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Eloge du scandale. Quand les masques tombent au théâtre

Article publié dans le numéro 40 « Sandales » – décembre 2022

 

Pourquoi un titre aussi provocateur ? Le scandale renvoie à des notions négatives – l’immoralité ou le désordre. Il ne semble pas adéquat d’en faire l’éloge. C’est pourtant ce que je vous propose.

 

Dans son essai Le Théâtre et son double (1938), Antonin Artaud n’hésite pas à comparer le théâtre et la peste. Comme la peste, le théâtre permet de faire « tomber le masque » ; il invite les spectateurs à se regarder comme en miroir et à prendre conscience d’eux-mêmes. Si tel est le cas, nombre d’œuvres théâtrales ont donné lieu à des scandales, ont été confrontées à la censure, et cela devrait n’étonner personne. En effet, pourquoi une œuvre fait-elle scandale ?

En 1858 paraît la pièce Les Lionnes pauvres d’Émile Augier, qui aurait été soumise à la censure sans l’intervention du prince Napoléon-Jérôme. Cette pièce met en scène une jeune femme, Séraphine, épouse d’un maître clerc et maîtresse d’un autre homme qui l’entretient, afin d’obtenir toutes sortes de belles toilettes. A l’instar d’une Emma Bovary, ses dépenses se transforment en dettes que son mari finit par apprendre. Il s’engage à les rembourser, avant de découvrir l’adultère dont il est victime. Ainsi, il était reproché aux Lionnes pauvres de mettre en scène une pareille misère sociale, alors même qu’elle prenait le parti du maître clerc.

D’autres pièces n’ont pas eu le secours d’un puissant adjuvant ; l’un des exemples les plus célèbres étant Le Tartuffe ou l’Imposteur de Molière. En 1664, une première version fut représentée à la cour et interdite immédiatement, sous l’instance de l’Archevêque de Paris, car accusée de diffuser une doctrine libertine dissimulée – ce à quoi s’ajoute l’impossibilité d’aborder des sujets religieux sur scène à cette époque. En 1667, une seconde version fut proposée, interdite elle aussi. Il fallut attendre 1669 et une troisième version pour que ce chef-d’œuvre voit le jour, rencontrant un immense succès. 

A partir de ces deux exemples, nous comprenons pourquoi le théâtre et les scandales entretiennent des rapports privilégiés. Qu’une œuvre mette en exergue les dysfonctionnements d’une société, l’amoralité d’un individu, et chacun crie au scandale ; tant nous est inconfortable le portrait des noirceurs de l’âme humaine.

Le scandale flirte avec le tabou, le non-dit ; il déconfine ce qui dérange, ce qui était jusqu’à présent silencieux ; il met au jour ce que nous ne voulions pas voir – ou ce que nous voulions que les autres ne voient pas. Il est aux antipodes de toute hypocrisie sociale, qui s’accommode de faits répréhensibles aux yeux de la société en baissant le regard. Une œuvre qui fait scandale, c’est donc une œuvre qui fait tomber les masques.

 

Laetitia le Moan

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